atelier d’écriture du mardi – N° 31

Date : 7 mai 2020

atelier 31, mardi 5 mai, chacun.e chez soi

Voilà des extraits de Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo


& de Liberté dans la montagne de Marc Graciano (Corti)


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Appréciez le style de chaque écrivain, entre autre à travers la précision recherchée, visuelle et des impressions.
Les adjectifs qualificatifs, les noms, les constructions grammaticales….
Le récit comme une vision, une tension.
Pas d’emphase malgré l’emportement.

Je vous demande d’écrire un texte sur là où vous êtes, là où vous habitez, en vous inspirant (stylistiquement) de ces textes.
en 2 parties,
la première plus descriptive,
le seconde qui fait vivre votre “paysage” comme un personnage familier ou inconnu.

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Là encore, je vous demande du boulot, pas que de l’amusement, mais je pense qu’au terme de l’exercice, les 2 sont liés…
Ce qui m’interesse, ce n’est pas juste que vous vous exprimiez (pas besoin de moi) mais que vous puissiez découvrir des possibilités personnelles en vous « forçant » à écrire autrement.

En écho, cette chose d’animation culturelle prônée par le gouvernement :

Je suis résolument contre.
Je ne suis pas une (pas gentille) animatrice, et on n’est pas au Club Med

Donc un atelier d’écriture perdu dans l’espace et la distanciation….
Allo, vous êtes morts ?

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David :

La vallée perdue.

Une seule route principale longe la rivière le Doustre entre deux vastes reliefs vêtus d’une épaisseur de tous les verts, vert olive, vert vif, vert prairie, vert Véronèse, vert sombre, vert de gris. De part et d’autre du pont de granite merveilleusement rénové tout récemment par le conseil général, les chemins partent à flan de colline vers les hameaux des hauteurs. La petite église somnole au centre du village, dénudée de ses mousses et lichens et traces multi centenaires par l’action déterminée de la géniale équipe du conseil général et bâtiments de France. Les nouveaux arrivants remplacent bien dangereusement ceux qui peu à peu ont disparu, occupent l’espace avec leurs cortèges et guirlandes de méfiance, paranoïa, peur des serpents, luttent contre les mauvaises herbes et les ronces, ferment les vieux passages, s’accaparent les terrains, et se surpassent au grand concours des langues de pute aux aguets.

A nous autres il nous reste des no man’s land dans les pentes raides ou les machines ne vont pas, sous ces pans de roche pourrie, royaume des sources moussues et fougères, ombres sans nom couvertes d’un mikado géant de branches et de troncs fracassés qu’il faut franchir en s’échinant. C’est le havre de paix des non humains. Parfois un grand cerf s’y brise une patte et meurt en silence et partage la pestilence de sa carcasse mouvante de vermine et autres nécrophores avec les jardiniers outrés de perdre si violemment le suave parfum des fleurs.

Ma vallée est encore un peu sauvage, un peu oubliée, parfois assaillie sans vergogne par une horde de chasseurs écumants, parfois un frêle pécheur solitaire vient y passer un paisible moment. C’est là que nous avons construit notre maison.

 

Après plus de cinq heures de route depuis Bordeaux, guidé par mon GPS, je trouve enfin la charmante petite vallée du Doustre indiquée par le site Gobage.com. Je gare mon SUV Nissan X Trail sur le coté de  la route longeant la rivière et sort ma canne à pêche en fibre de carbone et mes mouches. Je fais quelques photos avec mon smart phone et constate qu’ici il n’y a pas de réseau. C’est un peu décevant. Une violente effluve me percute soudain les narines, quelque chose pue la mort, comme une bête crevée. L’épaisse végétation s’élevant en murailles de chaque coté de la rivière accentue ma sensation d’étouffer. Je comprends qu’il sera malcommode de pêcher à la mouche dans un tel fouillis végétal effondré des parois rocheuses penchées sur les trous d’eau noire. Je fais quelques pas dans l’eau sur les galets glissants et m’étale de tout mon long, une douleur atroce au genou me cloue sur place. Je m’assois une minute pour récupérer puis reprend ma lente claudication vers l’amont. Je me demande ce que je fous ici. Un grand arbre effondré en travers de la rivière me barre le passage. Je tente de le franchir mais me retrouve complètement coincé dans les branches, je perd l’équilibre et me fracasse l’entrejambe sur le tronc, mon téléphone tombe à l’eau et dans un mouvement de panique pour le récupérer je m’empierge dans ma canne qui se brise net. Je retrouve mon téléphone noyé, me remet debout, sonné et chancelant, tuméfié de partout et très angoissé.

Je regagne prudemment mon confortable SUV en me promettant de ne plus jamais mettre les pieds dans cet enfer de vallée maudite et d’accoler la plus mauvaise note au site Gobage.com accompagné d’un commentaire des plus sévères.

Manée : Mieux vaut tard que… ?

Botanique et architecture en forme de pamphlet…

Une sorte d’île verte, improbable…
Hellébores qui ont fleuri blanc sous le gel craquant tout près du jasmin d’hiver, non pas envahissant mais généreux; lilas au printemps, mauve clair, foncé, blanc aussi, odorants, dans le frais desquels enfouir son visage. Et en ce moment: euphorbes ordinaires pointant vers le ciel leur forme géométrique, fragiles fleurs d’églantiers sauvages blanches ou d’un rose délicat, iris violets au cœur veiné d’un jaune vif, iris parmes au cœur veiné de blanc, pivoines d’un rose incomparable et pistil rouge, romarin, lavande, sauge, lilas d’Espagne dont les longues tiges blanches ou rose foncé se penchent vers l’herbe sous le vent; bouleaux venus d’un lointain étang qui viennent de mettre leur feuilles d’un vert si tendre qu’ils donnent envie de les manger, châtaignier qui ne sait plus trop où il est, néflier négligemment appelé d’Israël ( alors qu’on devrait dire de Palestine) cerisier Montmorency avec déjà de petites cerises vertes formées laissant espérer un bocal à l’eau de vie qui moussera au soleil, cerisier bigarreau burlat ( avec, peut être dans deux ou trois ans de grosses cerises noires luisantes et craquantes ) mirabellier très jeune et prometteur aussi. Et à venir encore: framboises, cassis, capucines, cosmos du Japon, cosmos d’un orange ardent, asters violets… Et l’érable du Japon flamboyant à l’automne.
Et j’allais oublier : moineaux, rouge gorges familiers, mésanges à la gorge jaune, bouvreuils, rouge queues et d’autres dont il faudrait bien finir d’apprendre les noms, qui dès le matin tôt jusqu’à la nuit chantent leurs chants d’oiseaux.

 

Qui suis-je ?
Un petit jardin de campagne ?
Une terrasse végétalisée ( comme on dit maintenant) de l’ immeuble d’un quartier riche ?
Un coin du Jardin des plantes ?
Et bien non, je suis une des terrasses en prolongement d’un appartement HLM au plein cœur d’Ivry sur Seine, une banlieue pauvre et rouge ( de celles dont Paris Match écrivait récemment en pleine épidémie au sujet des actions de solidarité menées dans les quartiers populaires, qu’elles l’étaient « en bandes organisées »).
Je suis née à la fin des années 70 avec 170 appartements de l’ensemble dit du Liégat, des appartements dont pas un ressemble à l’autre, ouverts, lumineux, tous donnant sur une ou plusieurs terrasses dont aucune n’a la même forme.
Sur moi, pas de dalles, mais de la terre, une vraie terre qui permet de semer, repiquer, planter. J’aime être là de manière surprenante, inattendue, improbable. Je le dois à la création d’une femme architecte ( rare à l’époque) et à son engagement pour un logement social digne ( rare et plus encore aujourd’hui ) Renée Gailhoustet et à la volonté politique de la municipalité communiste d’Ivry.
Parfois j’entends dire qu’aujourd’hui ce ne serait plus possible mais c’est un pur prétexte pour, justement, ne pas avoir sur ses traces continuer à inventer et réaliser des logements sociaux où il ferait bon être, où disait-elle « vivre de manière un peu plus libre ».
Et je pense à cette phrase de Prévert : « L’architecte d’aujourd’hui n’a pas une fleur à sa boutonnière » ou encore à quelques unes des 100 déclarations du Comité de vigilance brutaliste* : Il y a plus d’architecture dans un James Bond que dans un programme des partis politique. Ou : Il faut arrêter de parler du logement social mais du logement tout court. Ou encore: l’architecture est avant tout une expérience du corps une expérience sensorielle.

PS: Quel.le autre architecte que Renée Gailhoustet habite aujourd’hui un appartement dans un ensemble de logements sociaux qu’il ou elle a conçu ?

* Le terme brutalisme vient du mot « brut ». Le « béton brut » est le terme employé par Le Corbusier qui voit dans ce matériau de construction un aspect sauvage, naturel et primitif lorsqu’il est employé sans transformation et avec l’absence d’ornements.


(merci pour ces photos, car si on n’y a pas été, on n’en connait que la littérature)

Sylviane : vaut-il mieux tard que jamais? j’ai passé un moment chez mes enfants, ce confinement était difficile pour moi, je suis revenue en Corrèze reboostée

Le rebut

« Pour nous, les Corréziens, ici c’est du rebut »

Voilà comment mon voisin, gros propriétaire terrien sur la commune, issu de purs corréziens sans doute depuis des millénaires, qualifia mon modeste lieu d’habitation alors que je lui demandais d’élaguer quelques branches.

Définition de rebut : ce qu’il y a de plus mauvais (dans un ensemble)

Mon rebut n’est qu’une petite parcelle sur une colline autour de Tulle. On y accède par une petite route qui se tortille en montant à travers bois sur environ 200m de dénivelé. Au fur et à mesure de la montée, les maisons s’égaillent laissant place aux prés et aux vaches. Un petit chemin sur la gauche, c’est là. A l’origine, il y a une quarantaine d’années, de gros engins ont dû fendre la colline, percer la forêt pour aplanir ce qui est aujourd’hui mon lieu depuis 24 ans. Malgré tout il faut encore monter un petit chemin pour arriver à la maison. C’est un déferlement de végétations de toutes les espèces : hêtres, noisetiers, chênes, bouleaux, acacias, pins, châtaigniers, bruyères, fougères ; une marée de verdure jusqu’au pied de la petite maison où s’accrochent des fleurs .Le sol est dur, la roche est sous les pas feutrés par la mousse et les bruyères. Du haut du talus, la maison semble accroupie au milieu de l’espace. Le soleil se lève au fond de la parcelle, là où on ne va nulle part, révélant par beau temps les toiles tissées la nuit par les grandes araignées effilées. Les couleurs font la ronde derrière le pin. Ici c’est le paradis des écureuils, des hérissons, des oiseaux piaillant aux fenêtres de ce nouvel HLM. Descendant du haut talus des petits sentiers sinueux révèlent la présence d’autres animaux : chats et chiens en quête d’un petit quelque chose à se mettre sous la dent mais aussi le renard pleureur et quelque chevreuil aventureux et celui et ceux qui viennent fouir le sol à la recherche des châtaignes de l’automne passé, enterrées et germées.

Ici la vie est secrète, l’habitude n’est pas au m’as-tu-vu …ne pas se faire voir ni entendre. Toutes ces vies cachées animent mon rebut, le modèlent, le nourrissent, la couleuvre s’y dore au soleil plus tranquillement que sur la route, les rats taupiers trouent la surface quand ils s’ennuient sous terre laissant des monticules qui dessinent des formules magiques.

Je connais le hérisson qui danse dans les phares de la voiture quand je rentre le soir au printemps puis quelque temps plus tard je le vois au crépuscule qui remonte dans le bois suivi de ses petits. Le crapaud est toujours sous la même pierre tel un prince charmant n’osant pas se dévoiler, les rainettes agiles le font bisquer en sautant dans les flaques les jours de pluie. Il y a aussi cette couleuvre qui aime se lover sous le seau à cendres et me surprendre mes poils tout hérissés par la peur. Les guirlandes de vers luisants transforment le 15 août en un Noël étouffant, la salamandre (est-ce toujours la même?) s’agite dans un mouvement sans fin. Il y a encore les lézards verts dans leurs cuirasses mordorées qui font le goûter des chats, les jeunes merles gris perle effrontés jusqu’à venir picorer les framboises sous mon nez. Tant d’autres encore dont j’ignore le nom, les habitudes, le logis…

Un rebut pour toutes ces vies affairées et affamées ? Non, simplement c’est un coin de nôtre terre paré de couleurs, de chants, de cris, de mouvements, de luttes…Au milieu, le jardin comme une trouée vers le soleil. Des fleurs, le rhododendron tel une palissade d’où s’éclateraient des centaines de fleurs roses en mai, un mur vivant du chant des oiseaux et qui sépare le petit potager ; là encore des fleurs, des fraises, des limaces et des escargots, des abeilles douces comme le miel, des frelons harceleurs. Il faut beaucoup de ténacité pour obtenir quelques légumes arrachés à toute cette faune…

 

Je pourrai encore longtemps décrire ce qui se passe dans mon rebut. Il est mon lieu, mon havre ; je m’accroche telle une liane à ces mille vies me nourrissant de ses arômes, de ses senteurs, du temps qui y passe. Je connais chaque recoin et je découvre encore chaque jour quelque détail, les changements selon les saisons, les empreintes des êtres qui y vivent. Quelquefois je m’imagine être une reine dans ce grand royaume ; à chaque pas quelque chose bouge, me donne à voir, à sentir, à toucher, à prendre, à admirer, à écouter. Ma vie est mêlée à toutes celles d’ici, plantes et animaux, souffles du vent, couleurs du ciel, douceur des saisons.

J’ai répondu à mon voisin :

« Peut-être pour vous c’est un rebut, mais j’aime beaucoup ce rebut… il faudrait juste un peu plus de soleil pour mon potager… si vous coupiez ces quelques branches ? »

 

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• Pour en savoir plus sur le travail de Renée Gailhoustet :

• & puis, pour vous faire découvrir un peu plus la langue (incroyable et contemporaine) de Marc Graciano, des extraits de Embrasse l’Ours (Corti) paru en avril 19, avec des belles photos… de zoo, où les petits nés cet hiver sortent du confinement et partent à la découverte du monde (restreint…)



& cet ourson orphelin sauvé dans un zoo avec grands espaces de l’Oregon (habitué à l’homme donc non relaché dans la nature), qui à 16 ans, joue dans sa baignoire en ce printemps et qui nous donne envie d’en faire autant !!

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