atelier d’écriture du mardi – N° 33

Date : 19 mai 2020

atelier 33, mardi 19 mai

 

Voilà des poèmes de Karel Appel (qui est plus connu pour ses peintures et dessins, il appartenait au groupe CoBra)
extraits de Océan blessé


New-York, 1979

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“Je serai là, à Hellemmes, derrière mon ordinateur… Mais j’ai pas fait mes devoirs…
Je vous envie de vous retrouver !   Bise    Leslie”

éloignement anti-virus, on ne peut pas lorgner sur ce qu’écrit sa voisine ou son voisin…
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1 — En 9 épisodes-minutes, racontez ce qui se passe quand on est amené à prononcer une chose personnelle à laquelle on tient, difficile à dire pour soi et, et qu’on peut supposer difficile à entendre pour l’interlocuteur(s).

Avant-pendant-après, préparation psychologique et discursive, action, comment ça sort, développement…
Je ne vous donne pas cet exercice pour connaître vos secrets et que vous les révéliez à tou.te.s, ce qui m’intéresse c’est l’analyse précise des sentiments, sensations, impressions lors de cette situation, et ce qui se passe pour vous avec la langue (le discours), comme un petit théâtre intime de la parole.

Raphaëlle :
Raymonde ne sent pas bon et ça coupe mon élan
1. Bon, elle pue et ça me dégoûte. C’est mon constat.
2. Je ne peux lui dire comme ça. Dès le matin.
3. Et puis après elle fume, ce qui n’arrange rien. Bon est-ce vraiment ça qui me gène ?
Oui, oui. Et puis même ses habits sentent. Et puis toute la maison. Bref, il faut faire quelque chose. Proposer des solutions mais comment quand l’autre ne voit pas le problème.
4. Lui dire : Raymonde, il faut que je te parle d’un truc qui me pose un peu problème. Bon, là, je vois bien, j’ai minimisé. Et puis j’ai un peu honte de le lui dire. Si ça se trouve, il n’y a pas de solution et elle n’y peut rien. Quant à fumer, c’est son problème, pas le mien. Je n’ai qu’à m’écarter. Je ne suis pas chez moi après tout. Mais quand même, ça brouille mon élan. Alors c’est important.
5. Rajouter : bon en fait, c’est un truc un peu perso qui te concerne mais que tu peux totalement ignorer. Car il n’est pas impossible que cela ne te pose aucun problème. Et que je sois la seule à le remarquer.
6. Et dire : mon sentiment est que tu sens fort. Autrement dit, que tu dégages une odeur forte et qui est un peu gênante. En tout cas pour moi.
7. Oulala. c’est un peu n’importe quoi de dire un truc pareil. Ne pas oublier d’ajouter : est-ce que ça te pose problème que je te le dise ? Qu’est-ce que ça te fait ?
8. Et là, bien écouter sa réponse voire son silence. Et puis développer un peu. Voir si elle en a conscience.
9. Dans le meilleur des cas, trouver ensemble des solutions. Bien lui expliquer ce que ça me fait à moi.

Agnès : C’était bien de se retrouver à l’atelier “pour de vrai” !

 

 

Sylvie : C’était heureux de se retrouver
Épisode 1/
Papa m’emmène à l’école
J’adore
Il prend le Solex
Sur le porte-bagage
Je suis fière

Épisode 2/
Sur le chemin
Dans les fossés
Courir
Une bousculade
Tomber dans la vase du fossé
Caché par les hautes herbes

Épisode 3/
Attendre le bus
Aimer s’asseoir sur les genoux
Des garçons
Jouer à se mettre la main

Épisode 4/
S’embrasser avec une paille de blé
Entre les dents
Croquer une cerise aigre
Dévorer le petit asticot
Blanc qui se cache
À côté du noyau
Cerise meulée
Tombée
La terre est bonne

Épisode 5/
Je porte toujours une culotte
Propre
Blanche
Ma grand-mère me dit
« On ne sait jamais »
J’écoute

Épisode 6/
La vase est noire
Puante
En sautant par dessus

Épisode 7/
La veille
C’était presque Noël
Se faufiler dans les bois
Avant la nuit
Et couper le genévrier
L’enguirlander
Seule
Les autres sont partis

Épisode 8/
Grandir
Se mesurer
Avec ma robe rose en synthétique
Achetée au supermarché
La veille de ma communion
Sentir le regard
Et puis cette odeur âcre
De mes 11 ans

Épisode 9/
Ne pas vouloir obéir
Attendre son soutien
Et y croire
Une ronce sur le bas-côté,
Elle la ramasse
Et me met
Me la colle
Sur les mollets

David :

1 – Il faudrait que je parte
pour recommencer autre chose
mais je ne vais pas vraiment partir
je vais juste me déplacer
en dehors de moi-même

2 – Comment dire, je vais partir sans partir
je serai là et pas là à la fois
en même temps tu vois, non tu ne vois pas
bon mais pour l’instant je suis là

3 – Bon imagine je pars, mais pas loin,
ou alors très loin mais je t’appelle une fois par jour
deux fois par semaine bon d’accord
je pensais que plus ça serait mieux
mais tu sais je ne suis pas encore parti

4 – C’est quand même plus dur
d’imaginer rester là, ne rien changer
mais tout arrêter pour autre chose
ça semble presque impossible
ou alors juste pour un moment
mais ça risque quand même de tout changer

5 – Imagine une chrysalide
avec un papillon à l’intérieur
cette forme brune et sèche presque inerte c’est moi
je sors de là-dedans avec toutes mes couleurs
et je me barre d’une fleur à l’autre

6 – Bon je ne serai jamais un papillon
je suis lourd et enraciné
plombé par le quotidien des hommes
englué dans le recommencement des choses
et cette vie d’en ce moment n’est pas si mal.

7 – Finalement je vais rester là
je construirai un bateau dans le jardin
je mettrai des couleurs de papillon tout les matins
pour les fleurs il y a tout ce qu’il faut

8 – Oui je reste
je ne pars plus
je te jure j’ai bien réfléchi

9 – Peut être un petit voyage
histoire de changer d’air
ça me ferait vraiment du bien
tu ne crois pas ?

 

2 — A partir du texte de votre voisin.e, inventez les paroles à dire et paroles dites, comment s’exprime cette différence et comment elles sont dites.
(Pour celles et ceux qui travailleront seul.e.s à distance, je vous propose soit d’attendre de lire un texte d’un.e participant.e à l’atelier publié sur le blog, soit de passer l’exercice 3)

Raphaëlle :
– Coucou, heu, ça va pas trop
– Bon, ça va pas trop mais je ne sais pas non plus comment te le dire.
– En fait, ça me terrorise.
– Bref, j’ai peur de tout : de mal savoir dire et de tout gâcher. J’ai peur de moi et donc j’ai peur de toi aussi. Parce que j’ai peur de ce que tu vas penser de moi. De dire des choses pareilles je veux dire.
Bon mais c’est angoissant tout ça. Deux secondes, il me faut un moment perce que je ne sais même pas comment je vais te le dire.
– En, fait, j’avais pensé t’écrire. Tu crois pas ? ça aide à poser les choses tu comprends. A prendre de la distance. Je sais que toi tu n’as pas de mal à dire les choses. Pfff, après tout, il faut bien que je jette alors voilà, désolée d’avance :….
– Et puis non, je ne dis rien, je suis trop lâche, j’encaisse et j’essaie de ne pas bouder. Au moins, pour une fois, j’aurai fait des progrès. Pour la lettre, on verra après.

Agnès :

 

 

Sylvie :
Simone (elle prend une large inspiration) : Tu sais Raymonde, ça fait maintenant quelques temps que j’habite chez toi. Tu sais, quand je suis arrivée, on ne se connaissait pas vraiment. Bon, tu m’as invitée à venir ici. J’ai hésité mais j’ai pensé qu’on allait bien s’entendre, on aimait bien se parler, on avait des idées communes qu’on arrivait bien à partager, l’une commençait une phrase et l’autre la finissait.
Ça allait bien nous deux.
J’y ai vraiment cru au début. Bon évidement, pas de douche et pas l’eau courante, la vie rustique quoi, j’étais surprise mais j’avais envie de tenter l’expérience, de tenter cette vie. Évidement tu m’avais bien dit certaines choses, l’eau au fond de la cour, la maison un peu isolée. Bien sur, au début, j’ai pensé que je m’y ferai…
Mais petit à petit c’est devenu difficile pour moi, pas le manque de confort, non c’est pas ça, c’est plutôt, comment te dire, que j’ai du mal (ouhlala, je respire à fond), enfin j’ai l’impression que tu as une odeur un peu forte, ou en tout cas que cette odeur devient un peu gênante pour moi. Voilà, c’est ce que je ressens.

David :
—  Emmène-moi sur le solex
—  Vas-y montes mais ne fais pas ta fière, gamine
—  Je reviendrais de l’école par le chemin
—  Tu vas encore tomber dans le fossé comme l’autre jour, prends plutôt le bus.
—  Ho oui avec tous les garçons
—  Comment ça les garçons ? tu t’assois devant toute seule
et je ne veux pas entendre d’histoires de bisous avec des pailles
et de petits asticots blancs et fait une bise à mamie en passant
—  Ho non elle va encore me parler de cette histoire de culotte
—  Mais non, et ne vas pas trainer vers le fossé plein de vase
—  Je fais ce que je veux c’est Noël
—  Tu vas abîmer ta belle robe avec les ronces partout
et j’aimerais bien que tu n’en fasse pas qu’à ta tête

 

3 — A partir de votre texte 1, inventez des choses dites dérisoires, faites-en un petit texte qui reprenne la forme des préparation – hésitation – prononciation – soulagement, regrets ou remords

Leslie nous a rejoint par Skype, même si la connexion n’était pas terrible, on a pu faire une lecture commune!

Raphaëlle :
Quand j’arrive chez ma belle-mère, c’est toujours la même histoire : il faut que je mette les chaussons mous en tissu qu’elle me tend.
Elle aime que sa maison soit propre. Mais pas propre grosso modo. Archi propre.
Si propre que je ne sais même pas où m’asseoir.
Alors non seulement je ne sais pas où m’asseoir mais je ne sais pas non plus marcher avec ces trucs qu’elle me tend.
D’abord, je les trouve moches mais en plus, je trouve que tout est ridicule.
Enfin bon, je pourrais bien prendre un peu de hauteur. Des chaussons, même moches, c’est pas très grave.
Mais non, ça m’énerve. J’aime pas qu’on m’impose le truc.
Bon, c’est moi qui suis ridicule. Qu’est-ce qu’on s’en fout si c’est ce qui lui fait plaisir ?
Oui mais quand même, elle aussi pourrait me faire plaisir non ?
Je sais : la prochaine fois, j’y vais en échasses. 1. j’ai pris de la hauteur. 2. je ne peux chausser les chaussons…

Agnès :

 

 

Sylvie :
Se souvenir d’un rêve ?
Comment arriver à se souvenir d’un rêve qu’on n’a pas fait ?
Ou mieux encore inventer un rêve !
Oui, c’est ça, je vais inventer un rêve !

Je suis sur le porte-bagage d’une moto et on file à toute allure – enfin, c’est plutôt un vélo-solex…
On suit un gros camion, d’un peu trop près, et hop tout de suite après je me retrouve sur la remorque d’un 35 tonnes, assise, et je balance mes jambes.
C’est bête !
Je veux courir mais je ne peux pas, mes pieds sont lourds et collent à la terre, les forces me manquent.
C’est absurde !

Je suis volontaire pourtant pour me souvenir.

David :

Ce matin j’ai envie de manger des biscottes, ça fait très longtemps que je n’ai pas fait ça.
Je ne le faisais plus car les dernières fois, elles se brisaient en plusieurs morceaux et ensuite j’avais de la confiture plein les doigts, et des bouts de biscotte molle qui flottaient sur mon café. Une biscotte, ça a une certaine texture en bouche, ça doit croustiller, et les morceaux tout mous dans le café, franchement c’est désastreux pour commencer une journée. Peut être y a-t-il une marque de biscotte plus solide, ou alors je m’y prend mal, si le beurre est trop dur par exemple, ça fragilise la structure de la biscotte et là, c’est le drame. Si on sortait le beurre la veille au soir du frigo pour qu’il soit plus souple, ça pourrai rendre les choses plus facile.
Je sais qu’avec les tartines il n’y a aucun risque mais le croquant n’est pas le même et je ne peux pas en manger dix comme avec les biscottes. Et puis il vaut mieux prendre les petites, les grandes se cassent plus facilement, enfin il me semble.

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