Robert Doisneau, Gilles Ehrmann, Mario Del Curto

Regards Photographiques.

 

 

 

Peu de grands photographes ont consacrŽ une partie importante de leur Ïuvre ˆ "l'art brut", mme si certains, comme Brunius, Brassa• Bellon ou Grindat se sont intŽressŽs ˆ quelques artistes : Ferdinand Cheval, le bois sacrŽ de Bomarzo par exemple. Il faudra attendre les annŽes 50 avec Robert Doisneau, le premier, suivi de Gilles Ehrmann et dans les annŽes 70, Mario del Curto.

 

Robert DOISNEAU :

 

"Il n'est pas Žtonnant que je reoive tant de lettres de crŽateurs inconnus. Hommes d'instinct, ils ont flairŽs un complice."

Robert Doisneau : "A l'imparfait de l'objectif." - Belfond - 1989 P.131.

"Vous savez, il y a des gens que je frŽquente beaucoup, ce sont ceux qui font de l'art brut. Quand on parle avec eux on se rend compte que l'important c'est ce qui se passe la nuit...Pour moi, sans tre aussi troublŽ qu'eux, c'est un peu pareil, j'accumule des trucs la nuit. Le matin je me lve et j'ai envie d'aller ramasser les choses."

Robert Doisneau : Entretien avec Sylvain Roumette - Photo Poche - 1983

" LÕÏuvre populaire est avant tout l'expression de l'homme et de ce qui l'entoure. C'est le rŽel bien palpable, sans fioritures, un rŽel quotidien qui est lˆ comme le pain sur la table ˆ chaque repas. C'est cet amour voluptueux du signe qui exprime la vie et qui Žcrit sur la table la rŽalitŽ vivante de la poŽsie."

Robert GIRAUD : "Peinture populaire." L'Information artistique n¡ 39 Avril 1957.

 

Le regard de Doisneau sur le sujet est fondateur. Il est le premier qui consacre une part importante de son Ïuvre photographique ˆ ceux qu'il appelait " les b‰tisseurs chimŽriques". Artistes qu'il dŽcouvrira au hasard de ses dŽambulations dans "la zone" prolŽtaire de la banlieue de Paris, ou que lui fera conna”tre son ami et complice permanent : Robert Giraud.

La rencontre avec Giraud, dit "Bob", introduit Doisneau dans un autre monde, celui de la nuit, non seulement nocturne, mais Žgalement  celle de ceux qu'on ne voit pas, noyŽs qu'ils sont dans la nuit sociale, qui n'ont pas pignon sur rue dans la vie quotidienne comme dans l'histoire de l'art : les marginaux, les clochards, les tatouŽs, les biffins, les forts des Halles, les artbrutistes. C'est en venant faire des images d'objets 1900 dans le magasin de Romi en 1947 que Doisneau rencontre Bob. Ils vont boire un coup au bistrot de Fraysse, rue de Seine, quartier gŽnŽral de Giraud qui l'emmne dŽcouvrir le monde des Halles. Ils ne se quitteront plus. Doisneau vient de dŽcouvrir un guide exceptionnel. Il pŽntre dans le monde de la nuit :

" Hommes de la nuit, ils sont lˆ, faciles ˆ voir, a reconna”tre, du plus petit au plus grand, tra”nant tous les rades les uns aprs les autres comme si la farce Žtait rŽglŽ a l'avance. Une lumire s'Žteint, une autre s'allume et la remplace. La nuit a quelquefois aussi ses heures de fermeture. C'est ce qui est grave, le tout est d'en profiter au maximum, aprs on verra."

(Robert Giraud "Le vin des rues" Deno‘l 1955 P. 14 )

"Bob" a jouŽ un r™le important dans l'art brut ˆ ses dŽbuts, r™le bien souvent nŽgligŽ. Sans lui la parole de SŽron, Isidore et quelques autres serait beaucoup moins connue. Il fut un temps assistant de Michel TapiŽ au foyer de l'art brut, mais il semble qu'il ne s'entendit pas avec Dubuffet.

 

 

 

Toujours  est-il que Dubuffet cite Robert et son frre Pierre dans le "Petit Courrier" de 1948 pour l'Almanach de l'art brut qui ne vit jamais le jour :" dans les campagnes environnant Limoges, s'il faut en croire les deux frres Giraud ( Robert et Pierre), maints faits curieux se produisent. On y a peur des carrefours. Des diables y dansent." ( les frres sont originaires du Limousin.)

Dubuffet : "Prospectus et tous Žcrits suivants" - T.1 - Gallimard - 1967 -P. 503/504.

Son frre Pierre, dessinateur, sera exposŽ chez Drouin en 1947 : "L'enchanteur limousin". Il est trs liŽ avec Chaissac qui le reprŽsente plusieurs fois en dandy avec nÏud lavallire, pŽpin et chapeau ainsi que me l'a racontŽ Camille Chaissac. Il illustrera des contes de Chaissac. Quelques lettres de Chaissac ˆ Robert figurent dans "Hippobosque au Bocage".

Sur " Bob", Chaissac Žcrira ˆ Doisneau : " Avec ses articles sur le monde interlope, les picaros, Robert Giraud m'a donnŽ l'idŽe de m'occuper de a aussi. Mais ne pouvant dŽcidŽment frŽquenter les caboulos de la mouf, je suis obligŽ de prendre ce que j'ai sous la main. Par grand malheur d'ailleurs car le monde interlope ne manque nul part et on devient mme citoyen du monde interlope rien qu'en confiant ses enfants ˆ des pŽdagogues qui prchent d'exemple l'irrespect des lois franaises." 5/10/1953, cachet de la poste. (inŽdit). Position rŽcurrente de Chaissac. Dans une lettre il me conseillait : "Tu devrais frŽquenter les marchands de la Villette et des tueurs de Vaugirard, des vidangeurs, des balayeurs des rues, des marchands de fromage ˆ la sauvette ou de mouron pour les petits oiseaux."  22/9/1962 cachet de la poste (inŽdit).

Les frres ont ˆ eux deux tout un rŽseau d'artistes hors normes marginaux, clochard comme Maurice Duval. Chaissac, qui a aussi son rŽseau,  y ajoutera Joseph Marmin, son voisin de VendŽe et d'autres ; il en fera Žgalement bŽnŽficier Dubuffet et Ferdire.

Ce compagnonnage entre Giraud et Doisneau se traduira par de nombreuses publications en commun, livres et articles. ( voir biblio.) Sur notre sujet ce seront essentiellement des articles de Giraud accompagnŽs de photographies de Doisneau dans la presse et des revues. En particulier en 1950, le quotidien "Paris-Presse l'intransigeant" publiera onze articles intitulŽs " ƒtoiles noires de Paris" o l'on trouve : Maurice Duval, Jean Savary, FrŽdŽric SŽron, et quelques autres. Nous les retrouverons dans "FŽmina Illustration" en 1955 ainsi que dans "Bizarre" en 1956 pour Raymond Isidore, tout comme dans "Franc Tireur" en 1956 sur Chaissac. Il y aura Žgalement des articles dans DŽtective ; la presse et les magazines Žtant quasiment  les seuls ˆ cette Žpoque ˆ faire Žtat de ces artistes.

Mais au delˆ de ces quelques publications Doisneau continuera, au grŽ de ses dŽambulations ˆ photographier ces "b‰tisseurs chimŽriques" tout au long de son existence. (Martial Besse, Marie Espalieu, Maurice Fasquelle par ex.) Ce sont souvent les seules traces de leur existence.

 

Les photographies de Doisneau nous offrent ainsi une importante galerie de portraits de ces artistes dans leurs lieux de vie. Sans pittoresque, sans anecdotes, il nous campe des hommes et des femmes fiers de leurs activitŽs artistiques et fiers aussi d'tre pris comme modle par le photographe.

 

Laissons lui la parole : "Leur faon de vivre inquite les gens de leur entourage, pour qui le merveilleux ne peut prendre d'autres formes que celles du tiercŽ ou du loto. Voilˆ une recherche du miracle qui mŽrite le label des divertissements raisonnables parce que pratiquŽs par des groupes importants. Alors que les autres, avec leurs dr™les de manies, resteront toujours des solitaires.

En ces temps de grands rassemblements, le phŽnomne a paru digne d'tre ŽtudiŽ. De nouveaux critiques se sont penchŽs sur ces Žtrangers mobiles, devenant ainsi eux-mmes des singuliers de la critiques. Il y a risque de rŽcupŽration, mais il serait bien surprenant de voir un jour les b‰tisseurs chimŽriques tenir congrs."

(  Robert Doisneau : "A l'imparfait de l'objectif." - Belfond - 1989 P.133

 

 

Gilles EHRMANN

"Il fait une nuit totale dans mes photos mais c'est une nuit trs lumineuse. Je fais un travail de solitaire et ˆ un moment donnŽ je rencontre un autre solitaire, nos voix se parcourent, nos pistes s'Žclairent mutuellement."

Gilles Ehrmann : Entretien avec HervŽ Guibert - Le Monde - 9/1/1981

"Alors que je ne connaissais encore Gilles Ehrmann que de vue - c'Žtait une plage d'Ouessant des moins frŽquentŽes - que de fois n'ai-je pris garde ˆ sa manire d'agir, errant sans se dŽpartir d'une extrme vigilance pour brusquement saisir au vol, le temps d'un dŽclic, ce qui ne pouvait tre qu'un heureux jeu de lumire au ras des galets ! La qualitŽ exceptionnelle de sa technique en fait foi : les "ftes" de la patience" se conjuguent ici aux ftes de l'intelligence. Aprs Courbet, aprs Gauguin et mme sans l'appoint de la couleur, nul n'est parvenu comme Gilles Ehrmann ˆ dŽshabiller une vague. Des "InspirŽs et leurs demeures" nul n'ežt pu prŽtendre nous apporter plus Žclatante et plus totale rŽvŽlation."

AndrŽ Breton : "BelvŽdre" -1962

 

LÕÏuvre

LÕÏuvre de Gilles Ehrmann se situe sous le signe de la rencontre, thme qui lui Žtait cher et qu'illustre son livre "Faire un Pas", rŽcit photographique de sa dŽambulation en 1968 de l'Afghanistan au NŽpal, via l'Inde du nord. Signe quÕil dŽveloppait ainsi pour se prŽsenter dans ses catalogues d'expositions.

"- Rencontre avec la photographie,

- Rencontre avec l'architecture : Dominique Zimbacca, Claude Parent, AndrŽ Jacqmain, AndrŽ Bloc,

- Rencontre avec les InspirŽs,

- Rencontre avec le pote Gherasim Luca,

- Rencontre avec le public."

Ses rencontres avec les  potes sont nombreuses : Jacques PrŽvert, AndrŽ Breton, Benjamin PŽret, Luca ; de mme avec les artistes : Jacques HŽrold, Victor Brauner, Pablo Picasso, Gaston Chaissac, etc. Une sorte de compagnonnage poŽtique qui se traduira par des travaux communs : avec PrŽvert sur Fernand LŽger, avec Claude Parent et AndrŽ Jacqmain, dont il sera le photographe attitrŽ.

Pour lui photographie et poŽsie ne faisait qu'un. La photographie Žtait une matire poŽtique et "phylosaphale" ( au sens alchimique du terme) ; aller ˆ la rencontre des "gens" et de leurs Ïuvres ˆ travers le temps et  l'espace.

La rencontre avec les InspirŽs participe de cette qute. Il s'agit de faire un livre qui raconte une ou des histoires. Faire un livre, c'est son projet permanent. Avant les InspirŽs, il avait dŽjˆ rŽalisŽ "De Saint Paul de Vence" avec AndrŽ Verdet et Jacques PrŽvert, "Provence Noire" avec Verdet et Picasso (pour la couverture), "Fernand LŽger" avec Doisneau.

Le livre est pour lui l'aboutissement d'un long cheminement qui passe par la conception de chapitres, (story-board), du dessin des images avant la prise de vue et pour finir : la maquette dont il assume toute la mise en page. La fabrication de ses maquettes baignait souvent dans une atmosphre musicale. PassionnŽ de musique, il Žcoutait frŽquemment Bach, Monteverdi. Par sa sÏur, Huguette, musicienne de talent, il Žtait liŽ ˆ Maurice Ravier et la musique contemporaine, ami de Caty BerbŽrian.

PoŽsie, musique, architecture, errance accompagnait tout ses projets.

 

Pour rencontrer les InspirŽs il bŽnŽficiera de l'aide d'AndrŽ Bloc, le  directeur d'Aujourd'hui et d'Architecture d'Aujourd'hui aux quelles Gilles collaborait rŽgulirement. Sa revue Aujourd'hui Žtait une des rares ˆ faire Žtat des na•fs, arbrutistes, dessins d'enfants. Il y eu mme des numŽros spŽciaux. Bloc Žtait trs ami avec Chaissac et organisa la premire rencontre. Rencontre o, Chaissac masquŽ, attendait Ehrmann sur le bord de la route, ce qui provoqua un coup de foudre entre les deux artistes. Par ses amis potes ou surrŽalistes il eut Žgalement des informations.

De 1955 ˆ 1960 il part ˆ la rencontre des InspirŽs. Souvent ces voyages sont accompagnŽs de potes. Chez Chaissac et Marmin il s'y rend en compagnie de Michel Zimbacca (le cinŽaste et chauffeur du photographe), de Benjamin PŽret ou Gherasim Luca. Toujours avec Luca, ils vont ˆ Hauterives au Palais du Facteur Cheval. Luca, enthousiaste, Žcrit  une longue lettre  admirative ˆ Chaissac. Avec AndrŽ Breton ils vont ˆ Chartres voir Raymond Isidore. Le bžt est de crŽer des rencontres entre artistes et potes pour donner naissance ˆ des textes accompagnant les photographies et le livre qui suivra.

La mise au point du livre fut plus longue que prŽvu. Certains textes tardaient. Ainsi Breton qui avait finalement dŽcidŽ de faire la prŽface ( BelvŽdre), mit du temps. Au photographe qui s'inquiŽtait, il rŽpondit, racontait Gilles : "Mais enfin Monsieur Ehrmann, on n'Žcrit pas une prŽface comme on monte des Žtagres". Quant ˆ Gracq (il me l'a confirmŽ), il ne fit pas le texte sur RothŽneuf.

La parution fut prŽcŽdŽe d'une exposition en 1960 ˆ Paris, ˆ la Galerie Les deux Iles : "Automatisme et inconscient dans l'art", avec l'aide de Breton. Y figuraient Žgalement des dessins d'Artaud et Michaux, des peintures de CrŽpin et Micheline Catty (la compagne de Luca). Le livre paru en 1962 aux Žditions du Temps, Žditeur entre autre des "Graffitis" de Brassa•. Ce fut un Žvennement consacrŽ par le prestigieux prix Nadar. Les articles de presse furent nombreux dont une pleine page de Arts avec le texte de Breton et des photographies.

Dans son journal parisien Peter Weiss raconte : "Avec son visage oliv‰tre, la cigarette de travers dans la commissure des lvres collŽe sur la lvre infŽrieure, Gilles parlait de ces Ïuvres d'art ˆ l'Žtude desquelles il avait consacrŽ des annŽes, ses paroles Žtaient indistinctes, elles s'Žchappaient comme un chant sous la fumŽe de la cigarette qui lui faisait venir les larmes aux yeux, mais les photos aux dŽtails significatifs Žtaient pleines d'un matŽriau comprŽhensible, c'Žtaient les grandes Ïuvres d'art na•ves, les Ïuvres qui n'avaient rien ˆ voir avec le marchŽ, les affaires, les Ïuvres de pcheurs, de paysans et jardiniers, taillŽs dans les branches, des morceaux de rochers, faites de coquillages, de pierrailles ramassŽes sur la grve, de dŽbris de verre, transformŽs en meubles fantastiques, intŽgrŽs au mur d'une maison, couronnŽs par la grotte universelle du facteur Cheval ŽdifiŽe durant trente-trois annŽes."

Peter Weiss : " Du Palais idŽal ˆ l'enfer ou du facteur Cheval ˆ Dante " - Ed. KimŽ - 2000 - P. 45

 

Si lÕaccueil fut enthousiaste, il ne semble pas que les affaires commerciales de l'Žditeur aient ŽtŽ florissantes. Il disparut quelques annŽes aprs ; ses publications furent soldŽes.

Depuis le livre est devenu mythique. Francis Marshall me confiait, il y a longtemps, que deux livres lui Žtaient indispensables, celui ci et celui d'Alain Borne et Henriette Grindat sur le facteur Cheval. L'intitulŽ du titre sera repris, pour ne pas dire copiŽ ( Les inspirŽs des bords de routes). Mais le terme InspirŽs reste, tout comme les B‰tisseurs chimŽriques de Doisneau.

 

Les photographies d'Ehrmann sont diffŽrentes de celles de Doisneau. Nous sommes en prŽsence de deux grands regards sur une mme activitŽ artistique, ce qui en fait leur intŽrt. Mises en scne diffŽrentes qui traduisent deux approches personnelles. Par exemple les photographies de Joseph Marmin. Lˆ o Doisneau choisit l'angle du travailleur de la terre, la fourche bche dans la main de Marmin, Ehrmann  lui fait endosser ses habits du dimanche et l'installe au milieu de ses topiaires face ˆ Gherasim Luca : rencontre de deux potes. En montrant l'Ïuvre, chacun ˆ sa manire, il nous apporte la preuve que celle de Marmin Žtait importante et non rŽductible ˆ un seul point de vue.

Gaston et Camille Chaissac avaient d'ailleurs leur opinion ˆ ce sujet, eux qui disaient :" Doisneau c'est pour le portrait, Ehrmann c'est pour les Ïuvres." Chaissac voyait en Doisneau un "Prince" de la photographie et en Ehrmann un "Ma”tre". Belle reconnaissance.

 

 

Mario Del Curto

 

 

" Bien que je pense que le reportage soit mon genre de prŽdilection, j'expŽrimente diffŽrentes approches photographiques. Depuis 1983 et jusqu'ˆ aujourd'hui, je photographie des artistes d'Art Brut et leur univers. C'est ce que j'aime le plus dans mon activitŽ."

Mario Del Curto : " Les Clandestins sous le vent de l'art brut"

 

Mario Del Curto est sans doute le seul photographe actuel  dans la lignŽe de Doisneau et Ehrmann sur notre sujet.

Comme Doisneau, il s'intŽresse ˆ ceux qu'on ne voit pas, les sans-grades, les sans-abris, les sans-papiers sur lesquels il a effectuŽ de nombreux reportages. De cette faon il assume totalement une position politique, montrer l'envers du dŽcor. Ainsi dans un travail rŽcent pour un syndicat suisse, il photographie  les "gens" qui s'activent dans les coulisses du thŽ‰tre de Vidy ˆ Lausanne (dont il est le photographe) : costumires, Žclairagistes, etc, toutes personnes qui participent de faon irremplaable au bon fonctionnement du thŽ‰tre, mais qui ne sont jamais sous les feux des projecteurs.

Comme Ehrmann, c'est un photographe errant de la plante qu'il sillonne. Que ce soit ˆ Saint-PŽtersbourg sur les pas de Vavilov ( le crŽateur dans les annŽes 20 du sicle dernier de la premire banque de graines), en Afrique, au Canada chez Richard Greeves, en Italie chez Bonaria Manca, au Japon, ou dans l'Aveyron chez Guy Brunet. A moins que ne soit dans les montagnes suisses pour suivre le cours d'une rivire.

Donnez lui un lieu, un artiste ˆ voir et dŽcouvrir, des gens hors du commun et du coup trs communs, mais lumineux, il accourt en voiture, en avion, ˆ pied. Son aviditŽ d'aller ˆ leur rencontre est immense et vitale.

Parmi tous ces sans-grades, il affectionne particulirement les artbrutistes ; ceux et celles qui parlent peu, mme s'ils peuvent chanter merveilleusement comme Bonaria Manca. C'est en militant photographe, pour les montrer, leur donner la parole en images ou en film qu'il agit.

Il faut le voir travailler en totale empathie avec ses modles, extrmement discret pour ne pas les gner dans leur quotidien, comme s'il n'Žtait pas lˆ. Pas de mise en scne chez lui ; ses modles sont libres, vont et viennent ˆ leur grŽ,. Aussi quelle merveilleuse rŽcompense lorsque Santoro un jour, enfourcha son cheval et dit : "Prends une photo !" En fait le photographe enregistre les mises en scne de ses modles.

De ses pŽrŽgrinations, il rapporte des livres comme "Les Clandestins sous le vent de l'art brut", sorte  "d'InspirŽs et leurs demeures" actuel. Il accompagne chaque sŽquence de textes brefs donnant des points de repres.

 

Discutant il y a quelques mois avec un "spŽcialiste"  de l'art populaire, il me disait qu'il n'aimait pas les photographies de Doisneau, Ehrmann et Del Curto parce qu'il y avait trop d'empathie avec leur sujet, qu'ils les magnifiaient, que ce n'Žtait pas la rŽalitŽ ! Et bien justement c'est cette empathie, cet amour devrait-on dire pour les sans grades qui fait la force de leurs images. Ils  projettent sur eux une lumire que d'ordinaire on rŽserve ˆ d'autres ( les "importants"), ils les sortent du ghetto et de l'ombre o bien souvent ils sont enfermŽs.

D'ailleurs, leurs modles, eux, ne s'y trompent pas. A preuve quelques exemples tirŽs de mes rencontres personnelles avec certains.

Hippolyte MassŽ, le crŽateur de la maison de la Sirne aux Sables d'Olonne avait une mallette o il conservait les articles et documents le concernant. Parmi eux, la photographie de la petite fille ˆ la porte que Gilles Ehrmann lui avait offert.

 

 

Marie  Espalieu conservait soigneusement les photographies de Doisneau, offertes par le photographe, ainsi que son exemplaire des "RŽvoltŽs du Merveilleux" qui en reproduit certaines.

Martial Besse conserve lui aussi prŽcieusement les images de Doisneau et me dŽclarait :"Les RŽvoltŽs du Merveilleux c'est le meilleur livre sur moi. Il y a mon portrait par monsieur Doisneau."

Il me semble qu'il faut voir dans ces attitudes une sorte de revanche contre leur quotidien ; quotidien bien souvent accompagnŽ de moqueries, voire d'injures de leur entourage ( originaux, excentriques, bizarres...) quand ce ne sont pas des destructions de leurs Ïuvres ; ce qui est arrivŽ rŽcemment ˆ Martial Besse.

 

Avec le regard de ces grands photographes, ils Žchappent ˆ cet environnement avec fiertŽ, retrouvent une dignitŽ que d'aucun voudrait leur enlever. La cour des grands est ˆ eux !

 

Charles Soubeyran

 

Annexe :

Texte inŽdit de Gilles Ehrmann rŽdigŽ le 12 juin 1998, pour distribuer au public d'une rencontre organisŽe ˆ Rouen  lors du Festival Art et DŽchirure.

 

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Mes remerciements chaleureux et permanents ˆ Annette Doisneau, Francine Deroudille, Sabine Ehrmann, Mario Del Curto pour les documents qu'ils m'ont communiquŽs.