C’est bientôt le 5 octobre

Date : 2 octobre 2019

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Un entretien de Serge Hulpusch avec Federico Rossin, dans l’Echo, à propos du Journal d’un maître d’école , qu’on verra le 5 octobre à Tulle :

Comment Vittorio De Seta en vient à tourner en 1971, Diario di un maestro ? Quel est son cheminement, le contexte politique, culturel, cinématographique ?
Il a lu un livre qu’un ami scénariste lui a proposé, un journal d’un vrai maître d’école de la banlieue de Rome, publié par une maison d’édition qui s’intéressait aux pédagogies nouvelles et notamment traduit les écrits de Freinet. Ce livre racontait au fil des jours pendant une année scolaire la découverte de ce monde de la banlieue, fait de bidonvilles, de baraques, un quartier laissé à lui-même par l’Etat. L’école était une sorte de frontière à franchir. Les enfants n’allaient même plus à l’école.
L’instituteur a décidé, au lieu de faire une classe-poubelle, d’aller à la rencontre de ces enfants, de les impliquer dans une transmission de savoirs qui n’était plus verticale, classique mais horizontale. C’est-à-dire de faire émerger des enfants le savoir à partir de leurs connaissances de vie, de leur art de vivre, de leur appréhension de l’espace. Donc de détourner complètement le dispositif de l’institution scolaire tout en restant à l’intérieur.
Cette façon de faire autrement comme Montessori, Freinet et plein d’autres pédagogues a passionné De Seta. Au début il voulait juste adapter le livre pour en faire un téléfilm classique.

Le basculement s’opère comment aussi pour le cinéaste ?
C’est le moment d’or de la télé italienne. Rosselini, Bresson, Straub étaient produits par la Rai. Il y avait la possibilité de réaliser des films à la fabrication plus expérimentale.
Vittorio De Seta s’est rendu compte que sa première adaptation ne fonctionnait pas parce que si on veut réinventer le dispositif pédagogique de l’enseignement, il faut aussi réinventer le cinéma. A partir de là, il a trouvé un acteur professionnel, le seul du film qui joue le rôle du maître. Il a travaillé pendant un an avec un assistant pédagogique. Et au fur et à mesure du tournage dans une vraie classe, avec de vrais enfants.
Pour « ne pas faire un film », et « faire une école », De Seta renonce au principe du scénario. Il s’entoure de techniciens virtuoses et avec un conseiller pédagogique qui assiste les enfants sur le tournage quotidiennement, il écrit chaque soir un schéma de tournage transmis à l’équipe le matin même. Les scènes sont improvisées par les adolescents et le maestro sur la trame d’une fiction écrite au jour le jour. Le récit venait aussi des enfants. Par exemple, ils amenaient des lézards et ensuite travaillaient sur le sujet de la violence sur les animaux, la science. A partir de là l’écriture des textes, leur correction, la grammaire, la lecture sans rien imposer pour que les choses arrivent du savoir des enfants.
Dans le cadre de ce travail collectif, le réalisateur se trouve volontairement dessaisi de la direction des opérations, à l’image du maestro qui renonce à sa position de maîtrise pour se voir inversement enseigné par le savoir et l’imprévisibilité des enfants-adolescents. La notion d’auteur est mise à mal ; la capacité de réagir collectivement à l’événement devient la condition de la vérité du film.

Une sorte de work in progress?
C’est un film en train de se faire sous nos yeux. Il est tourné chronologiquement. La façon de filmer change. C’est la question pédagogique du tâtonnement. On cherche au fur et à mesure, on improvise et on fait selon ce que l’on a. La question des manuels scolaires est abandonnée comme le scénario. Les enfants ne savaient pas quand ils étaient filmés. Il n’y avait pas de clap.
L’équipe avait inventé une façon de synchroniser autrement. Ils étaient payés car le réalisateur considérait que c’était un travail. Pendant 4 mois et demi, ils ont travaillé de 10h à 13h et l’après-midi, il revenait dans la même classe avec un instituteur qui poursuivait les travaux entamés le matin. Il y avait une vraie circulation extraordinaire entre la vie et le film.

C’est pour cela que vous qualifiez le film d’«essai pluridimensionnel».
Exactement. L’essai, c’est une tentative de créer quelque chose au delà de la position d’en-haut. C’est une leçon politique, d’éthique cinématographique et une invention formelle incroyable. Ce film mérite d’être découvert. Il a été vu par 20 millions de personnes quand il est sorti à la télévision et vendu 40 pays sauf la France. C’est le moment de le voir aujourd’hui.

Ce film pour la télévision italienne, fait écho à une série française des années 70 méconnue La maison des bois de Maurice Pialat, où le cinéaste joue le rôle d’un instituteur pendant la Première guerre mondiale.
C’est les hasards de la vie. Cette série a été doublé en italien et a été vu en Italie à la même époque. Là avec cette série classique, il ne s’agit pas de raconter une école différente. Il s’agit de parler d’un homme extraordinaire en train de réaliser des choses. La façon de filmer est magistrale mais on reste dans le cinéma de fiction.

Sur la forme, on pense également au cinéaste Bruno Dumont qui tourne souvent avec des acteurs non-professionnels.
C’est un vieil héritage de Bresson. De Seta fait autre chose. C’est un jeu qui ne peut avoir lieu qu’avec les enfants. Dans le film, il y a un enfant un peu plus âgé, qui a 14 ans. Lui, il n’y croit pas et il va se détacher du projet. C’est essentiel car l’école a à faire avec les enfants. l’école enserre souvent les enfants dans des projets d’adultes comme en France avec cette idée de planifier la vie de quelqu’un à partir de l’âge de 10 ans.
Dans le film, on voit que la vie est plus complexe, nuancée, moins dirigée. Il y a la prise en compte de la question matérielle, de la vie de ces gens. C’est une enquête anthropologique, ethnographique sur le champ social mené en même temps.

Le film nous dit qu’on pourrait imaginer une autre forme d’école qui prendrait les enfants tels qu’ils sont et non tels qu’on voudrait les voir adhérer à un programme, un schéma de pensée?
Pour moi, «l’inactualité» de cette oeuvre me fait désespérer de la pauvreté de l’école d’aujourd’hui. On réécrit à chaque Gouvernement les programmes mais jamais la méthode. C’est cela qui est grave.
Le film montre que les choses sont simples si on a une volonté politique. La perspective n’est pas déscolarisante, du type « l’institution est corrompue, ce ne sera jamais un lieu d’émancipation. On va faire autrement, à la maison, dans le privée, en collectif. » Pas du tout, c’est du dedans qu’on peut réformer les choses. Le film donne de l’espoir sur le faire ensemble.

Quelle a été la réception du film en Italie et son impact dans un pays où émergeait de nombreuses expériences comme l’anti-psychiatrie?
Elle a été extraordinaire. Le film a réellement contribué à un débat collectif. Il y a eu tout un changement au sein de la société italienne dans différents domaines. Ce n’est pas un hasard si on redécouvre maintenant ces œuvres quand on a considéré ces 20 dernières années, l’école comme une espèce de jetée pour lancer les enfants dans le monde du travail. Cela a causé des dégâts énormes au niveau de la transmission des savoirs, de la dépolitisation. On en revient à la réinvention du quotidien que ces œuvres promettaient.
Il y a la question des égalités des intelligences et celle de l’inégalité des points de départ. Il faudrait considérer les élèves comme des singularités pas comme des moutons. C’est un point essentiel. Le film montre à quel point on doit résister et changer les choses. Il faudrait arrêter la dictature de la validation, des acquis. Les choses arrivent dans la vie. Il ne faut pas toujours évaluer, évaluer et sur quelles bases ! Il n’y a pas qu’un niveau, un modèle qui produit des petits robots bien cadrés, formatés, disciplinés.
Le film montre qu’on peut arriver à un savoir fondamental mais par d’autres moyens. Sa forme produit une nouvelle écriture pour un nouveau contenu, un autre possible.

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Cela me renvoie aussi au travail de Nicolas Frize, et de ce très beau nouveau livre : Les sources d’Elle s’écoule, que vous pouvez trouver Capture d’écran 2019-10-02 à 08.06.10
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& pour finir sur la représentation, cette belle lettre de Pasolini à Maria Callas, vue sur fb:
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