atelier d’écriture du mardi – N° 24
Aujourd’hui, ça commence par un mail :
Bonjour!!
bon alors, l’atelier d’écriture aura lieu chez vous!
je vous propose de garder les mêmes horaires
je vous envoie donc les consignes à 18h30…!
A ce soir
et des bises de plusieurs centaines de kilomètres de distance
fabienne
et des réponses :
atelier 24, mardi 17 mars, chacun.e chez soi
Encore une nouvelle expérimentation pour ce nouvel atelier
(photo Xavier Pinon) (sans trucage ni machine..!)
(photo Raphaëlle, donc..!)
1 — l’équilibre de la chute.
Vous vous promenez dans les bois, le loup n’y est pas. Mais certains arbres jouent à ne pas tomber.
Faites 2 textes, un pour chaque photo. (vous avez 20 mn X 2)
Pour chacun, une description « de la réalité » et une description onirique. Pensez à la chute (du texte).
pensez au style, essayer qu’il suive vos descriptions, que les idées et le style marchent ensemble si possible
Sylvie :
Une forêt, dans une forêt une clairière, un peu de soleil filtre au travers des branches.
Le feuillage est plus dense et plus vert sur la partie basse de la végétation. L’arrière plan est flou, ou carrément la photo est floue.
En avant et au centre de la photo, comme sur-ajouté au premier plan, un petit tronc flotte, il est coupé de sa base. Il est net. Le cadrage coupe le tronc sur la partie supérieure. Le tronc est un jeune tronc, avec sur le côté droit comme le départ d’une toute petite branche, frêle et pointue, qui la fait ressembler à une épine.
J’ai comme l’impression qu’il se passe quelque chose d’inhabituel, le soleil et la chaleur ont ramolli la forêt et maintenant mes lunettes double foyer me font percevoir une drôle de chose : de mon œil gauche je vois un paysage flou, et de mon œil droit je vois un demi tronc bien net.
Son épine est comme un clou où je pourrai accrocher mon manteau.
Leslie :
La coupure est nette. C’est la trace d’un outil motorisé piloté d’une main décidée. L’arbre est suspendu, probablement provisoirement, je ne pense pas qu’on puisse laisser un arbre comme ça, légalement. Il n’a plus d’attache au sol, il flotte en l’air, il lui manque le bas. En haut, tout va bien, ses voisins de futaie le tiennent dans les nœuds de branchages qu’ils avaient poussé ensemble depuis plusieurs années. L’arbre sans attache au sol a l’air jeune. Il avait déjà été taillé. Quand même son écorce est ridée, mais je ne connais pas suffisamment bien les arbres pour savoir si ça veut dire quelque chose.
Ça se voit que ce n’est pas un castor qui a fait ça. On a envie de s’y mettre, en-dessous, là où est le vide, on n’y croit même pas que ça tienne. Imagine un arbre, et ensuite, imagine qu’à la hauteur de tes yeux ton regard en passant l’a découpé, pour que tu remplaces ce qui avant le reliait à la souche. Imagine la taille des racines en dessous, moi je les sens qui tendent tout entières vers la reconnexion, il y a quoi, un mètre cinquante, c’est fort les racines, tu sens que la sève pousse vers le contact. C’est pile ta taille ce qui manque. Si tu t’y mets tu dois porter mais tu sauras ce que ça fait d’être un arbre, jusqu’à ce que la sève t’enveloppe, à la façon qu’ont les arbres de cicatriser, en traversant tout.
Leslie
Difficile d’interpréter la scène. On dirait quand même que quelqu’un est passé, a fait n’importe quoi et est parti. Mais c’est sûrement pas ça. Avant ça devait être un petit bouquet de troncs, et maintenant c’est un petit bouquet de troncs, mais deux d’entre eux ont été encouragés à se désolidariser de leur souche en tombant vers le côté, sciés nets mais ça tient encore, parce que c’est posé contre, vers l’extérieur. Un autre juste devant, il a plus de souche mais il repose sur les autres, on dirait qu’il est même pas là. Ceux qui ont l’air d’avoir été choisis pour rester là sont épluchés, ça nous fait un mélange de mousse, d’écorce et de bois à vif, avec des trous à travers lesquels on voit la forêt et le ciel. Ca ressemble plus au pied d’un vieux champignon qu’à un arbre, avec deux bras de la victoire.
Lui, avec ses deux bras articulés, et son air de victoire, il sait pas ce qui l’attend, c’est beau, et c’est triste évidemment. Ce petit moignon qui dépasse, et lui fait un nez, comment il est arrivé là ? Ce trou de ciel entre les troncs, c’est un œil, évidemment, et tout entier le multi-arbre condamné regarde à droite, vers le futur, un futur où ses bras vont inévitablement se détacher avec toutes les tempêtes et les gens qui ont besoin de bois pour leurs cheminées. Il dit « halte-là » avec son œil et ses bras, et ça ne le protègera de rien, il a sûrement déjà disparu maintenant. Ca ne fait rien car je ne me crois pas capable de l’oublier, même si dans la cheminée peu de chances que je reconnaisse les bras d’un monsieur multiarbre défiant et innocent qui m’avait ému.
Sylvie :
Dans un bois, en lisière d’un champ, quelques conifères en mauvais état. Au centre les troncs enchevêtrés forment une composition en V. Les troncs de droite et de gauche forment le V, pour cela ils ont été coupés à leur base et orientés dans des directions opposées. Ceux du milieu semblent écorcés, leur matière et leur couleur ocre les différencient : ils sont installés à la verticale, les uns contre les autres, au milieu du V.
V. En bûcheron maladroit, il a dévasté un petit bosquet
Arbre écorcé
Arbre à mousse
V est près de la lisière
Une pâle lumière horizontal
2 —
Collez (par l’imagination) votre oreille contre un de ces arbres en photo et écoutez-le :
Transcrivez le message
Pensez au style de votre transcription (15 mn)
Sylvie :
Le petit tronc : Trutt psitt psitt grrr pff trutt psitt, hep, hep… mais qui me tient en l’air comme ça ?
Je suis suspendu à un fil !
Mais qui m’a attaché ?
J’arrête pas de tourner sur moi-même !
Grrr, psitt, trutt, psitt…
De quoi j’ai l’air ? Une toupie dans le vide !
Ce fil n’est pas bien gros, on devrait bien arrivé à le couper… Un petit fil de laine rouge…
Grrr, psitt, trutt, grrr, psitt…
Épépé, je suis dans le vide ! Hep…
Leslie :
Je n’étais pas trop jeune pour le job,
Mauvaises langues.
Tenir
Tiens
Voyez mes peintures de combat
Et les sept bois dont je suis fait
La forêt m’a donné une parure de cheveux
Pour les yeux des intrus
Je triomphe
surplombe les décombres laissés par la bataille
Que j’ai tout seul menée
Que rien de bouge et ça ira
Et si mes articulations sont à deux doigts de céder
Pour l’instant ça tient
Mauvaises langues
3 — Extrait de La Rage de l’expression – Le carnet du bois de pin — Francis Ponge (gall.) :
Reprenez la chute de vos 2 premiers textes
Repartez de ces phrases pour faire un nouveau texte
Sylvie :
Le tronc est un jeune tronc, avec sur le côté droit comme le départ d’une jeune branche, frêle et pointue qui la fait ressembler à une épine. Son épine est comme un clou où je pourrais accrocher mon manteau.
Quelle drôle d’idée d’accrocher son manteau, dans une forêt, à l’épine d’un arbre ?
Cette idée d’épine me poursuit tout comme l’idée du clou. L’épine est, ma foi, pas si grande que ça, elle n’est peut-être pas si dangereuse ? Les arbres ont des épines pour se défendre, ils sont fragiles, et il faut bien qu’ils se protègent un peu. Certains ont imaginé cette solution contre les prédateurs. Le févier d’Amérique a même de petites touffes d’épines sur son tronc qui ressemblent à des oursins. On l’appelle parfois épine du christ. Çà ne donne pas du tout envie de grimper aux arbres tout ça !
De fil en aiguille, de l’épine au clou, de l’épine de la couronne du Christ au clou de la crucifixion, je me perds.
Du fil à l’aiguille, de l’épine au clou, du clou au manteau, le manteau rouge de la résurrection, il me revient en mémoire ce retable de Colmar où l’on voit le Christ flotté dans les airs, au-dessus du tombeau vide enveloppé du manteau rouge qui le touche à peine.
Leslie :
J’ai écrit ceci : « Quand même son écorce est ridée, mais je ne connais pas suffisamment bien les arbres pour savoir si ça veut dire quelque chose. » Je m’appliquais à décrire la réalité. J’ai écrit aussi que je ne pouvais pas.
Ici un arbre, là autre chose : être objective.
J’enfile mon déguisement de garde-forestière, mise en situation, confiance : chapeau large bords, bottes, ridicule ! Je ne sais même pas comment s’habille l’ONF. Qui suis-je pour parler d’un arbre ? Et quand je parle de lui, je parle de la peau des vieux et des vieilles, de nous les humains, comme si ça l’honorait, l’arbre, qu’on le compare à un vieux. Vieille déformation, oui, humanocentrisme, bêtise.
Mais bon, je ne parle pas arbre. RIDICULE ! Les arbres ne parlent pas.
Ils font sûrement des trucs qu’on ne comprend pas, et nous – quand on parle – ils pensent (RIDICULE ! Ils ne pensent pas, ils exhalent divinement le message transcient et permanent qui les relie) qu’on fait KRRR KRRR KRRR en criant trop de mots qui ne veulent rien dire et qu’on parle sans savoir, en parlant de leurs belles peaux ridées et en SE SERVANT D’EUX pour justifier qu’on est « encore belle » à deux cents ans comme grand-mère feuillage dans Pocahontas.
Tous ces gens qui me regardent parler d’un arbre.
C’est insultant pour eux et pour l’arbre.
Personne pour décrire la forêt vraiment, tu dois expliquer à quelqu’un qui n’a jamais vu un arbre, tu fais comment ? T’as jamais vu d’arbre, tu connais pas les feuilles non plus, ni le bois, ni la sève, ton monde c’est pas le même à la base. Il y a pas de forêt, tu respires pas, comment t’expliques ?
Quand je parle onirique je dis : « si tu t’y mets tu dois porter mais tu sauras ce que ça fait d’être un arbre, jusqu’à ce que la sève t’enveloppe, à la façon qu’ont les arbres de cicatriser, en traversant tout »
C’est beaucoup plus réaliste.
4 — Extraits de La fabrique du pré de Francis Ponge (Skyra)
Reprenez tous les éléments écrits ce soir pour refaire 1 texte (nouveau) pour chaque photo, comme si vous « creusiez » le sujet et l’écriture.
Raphaëlle m’envoie un message avant que je reçoive sont texte :
Leslie :
Il lui manque le bas
Il lui manquerait le bas, si c’était un homme. Là c’est seulement la photo d’un arbre. Avec un tronçon manquant (tronçonné), remplacé par le petit sapin de second plan.
J’ai la sensation qu’il bouge, ce premier plan d’écorce, nimbé de flou, et je la sens dans mon ventre, l’absence. Je n’ai pas l’impression que l’arbre va tomber. Son membre fantôme, membre d’arbre, membre d’un seul membre, résonne trop fort, et c’est l’image qui fait ça, avec son net et son flou. Même quand j’imagine que c’est une mise en scène, que tu tiens une bûche dans la forêt, ça marche pas, je sens toujours la vibration dans la photo.
Il y a quelques années j’ai acheté une tomate dans un supermarché pas du tout éco-responsable, parce qu’elle avait des yeux et une bouche, dessinés sur sa peau de tomate sans goût par les chocs successifs ou simultanés. Avec mon amoureux de l’époque on disait que c’était notre enfant et on a commencé à ne plus pouvoir la manger. Elle était dans le frigo pour ne pas pourrir. En y repensant c’est vraiment bizarre et triste comme comportement, mais ça reste, un sentiment très fort envers les choses qui ont des visages, qui ont l’air de passer un message, de dire « ne me détruis pas, s’il te plaît ». C’est seulement une résonance inconnue avec ce quelque chose de triste chez moi qui refuse de ne pas s’attacher à l’inanimé. L’histoire de cet arbre, de cet enfant-arbre de la forêt, sacrifié et ridicule dans sa volonté de faire barrage, alors que le temps étire son visage vers le haut et que nous lui enlèverons les bras, je sais que c’est inutile.
Sylvie :
Le tronc est un jeune tronc, avec sur le côté droit comme le départ d’une jeune branche, frêle et pointue qui la fait ressembler à une épine. Son épine est comme un clou où je pourrais accrocher mon manteau.
Quelle drôle d’idée d’accrocher son manteau, dans une forêt, à l’épine d’un arbre ?
Cette idée d’épine me poursuit tout comme l’idée du clou. L’épine est, ma foi, pas si grande que ça, elle n’est peut-être pas si dangereuse ? Les arbres ont des épines pour se défendre, ils sont fragiles, et il faut bien qu’ils se protègent un peu. Certains ont imaginé cette solution contre les prédateurs. Le févier d’Amérique a même de petites touffes d’épines sur son tronc qui ressemblent à des oursins. On l’appelle parfois épine du christ. Çà ne donne pas du tout envie de grimper aux arbres tout ça !
De fil en aiguille, de l’épine au clou, de l’épine de la couronne du Christ au clou de la crucifixion, je me perds.
Du fil à l’aiguille, de l’épine au clou, du clou au manteau, le manteau rouge de la résurrection ; il me revient en mémoire ce retable de Colmar où l’on voit le Christ flotté dans les airs, au-dessus du tombeau vide enveloppé du manteau rouge qui le touche à peine.
J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Dans la forêt les branches enchevêtrées laissent filtrer un peu de lumière. Un petit tronc flotte, il est coupé à sa base. Le tronc a une jeune pousse au côté droit, un jeune rameau, ou une épine, je ne sais pas bien. Il flotte mais nul manteau ne l’enveloppe.
& puis, pour Clore, un message de Manée :