atelier d’écriture du mardi – N° 26
double page de l’Agenda noir 1985
atelier 26, mardi 31 mars, chacun.e chez soi
Aujourd’hui, on va profiter que vous soyez chez vous :
• Avec Benoît Casas, qui a écrit L’ordre du jour, un « journal » poétique, en reprenant chaque jour des phrases de livres lus, ouverts, ce jour-là (et écrites ce jour-là), qui font écho à sa journée. (ed. Seuil)
extraits :
• & Fernando Pessoa (poésies d’Alvaro de Campos – gall.), qui met de l’ordre…
› Je vous demande d’aller ‘picorer’ dans votre bibliothèque, ou ailleurs,
dans les livres, les journaux, les revues, (pas forcément en littérature) qui sont chez vous.
Ne les choisissez pas forcément, ouvrez les aussi au hasard…
Relevez des courts paragraphes, des phrases, des formules, qui vous parlent immédiatement,
en écho avec vos préoccupations et occupations, pensées, sentiments, impressions, etc.
(notez vos sources)
Composez 4 textes à partir des extraits choisis
Changez de partis pris à chaque fois (de règle du jeu assemblage-composition -écriture)
Je vous demande d’écrire personnellement à travers le « montage », dans 2 d’entre eux
(En début de chaque texte, dites-nous quelle a été votre règle du jeu — je préfère ne pas vous les imposer, d’autant que vous pouvez disposer de plus de temps que d’habitude…;
en fin de textes, citez les co-auteur.e.s..!)
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Raphaëlle :
NOUVELLE :
Monsieur T. ayant partiellement perdu la vue, s’est vu obligé d’investir dans un chien guide d’aveugle pour garantir toute son autonomie. Il a commencé par investir dans un beauceron. Pourtant, on le lui avait bien dit, le beauceron n’est vraiment pas le chien idéal pour guider. Certes c’est un chien d’une corpulence agréable qui a cette capacité à rassurer mais il a bien des difficultés à anticiper, prévoir et prévenir, fonctions essentielles du guide du malvoyant.
Tant et si bien que Monsieur T. se trouva peu de temps après l’acquisition de son premier chien, renversé par une voiture. Grâce à cela, oserions-nous dire, il a développé des réactions nerveuses tout à fait particulières ; gestes intempestifs, blocages partiels de la faculté de marcher, difficulté à maîtriser ses pas, si bien que Monsieur T, devenu un cas d’école, accepta d’intégrer un hôpital psychiatrique de façon permanente jusqu’à ce qu’il meurt, les os de chaque membre fracturé, le personnel médical ayant été incapable de caparaçonner l’ensemble de l’hôpital.
(source : Jean-pierre Changeux, Du vrai, du beau, du bien. Une nouvelle approche neuronale.
“Les neurones de la rétine effectuent un premier traitement de l’information visuelle”.
“La neuropsychologie a pour vocation d’exploiter les conséquences de lésions cérébrales dues à des traumatismes, des accidents vasculaires ou des maladies génétiques sur les fonctions supérieures du cerveau.”)
MANUEL à l’usage des parents qui veulent mettre leurs fils au tricot.
Règles de base :
1. Si le père est devant la télé, il est toujours avec son tricot : un pull pour sa fille de préférence.
2. Le père lisant une histoire à ses fils peut privilégier tout type de livre concernant des animaux laineux et profiter de cela pour donner une image positive du matériau laine.
3. Le père réalisant un pull pour sa fille, n’hésitera pas à faire participer ses enfants à l’ouvrage.
4. Le pull de la fille sera particulièrement doux et chaud, ce qui motivera les fils d’avoir leur propre équivalent.
(source : Le grand livre du tricot. Les techniques , les points, ouvrages et tours de main.
“Le tricotage est une technique ingénieuse qui permet d’obtenir une surface de tissu à partir d’un ou plusieurs fils continus, à l’aide, du plus simple des outils, l’aiguille à tricoter.”)
POESIE
Je cours après le temps
Je cours tout court, de temps en temps
Où cours-tu me demande le taon ,
Là où personne ne me ment
Ah bon on te ment ?
Oui, tout le temps
Il est temps de prendre ton temps
Donc, je t’attends
Vraiment ?
Assurément
Et voilà les deux amants
Partis sur l’air du temps.
(source : Erik Pigani, L’art de gérer son temps ou savoir vivre efficacement.
“A force de courir derrière un temps qui va toujours plus vite, l’homme occidental a oublié son présent.”
“Ainsi, toute la planète est devenue synchrone, avec un temps unique, contrôlé par les nanosecondes des horloges atomiques.”)
Interessons-nous à la maltraitance animale.
Les exemples foisonnent :
“On a vu par exemple les pieux solitaires de Port-Royal clouer un chien sur une planche et l’ouvrir pour voir comment cela marchait à l’intérieur.”
et d’expliquer peu après que Malbranche, ayant donné un coup de pied à une chienne, répondait à *Fontenelle qui protestait : “Ne vous inquiétez-pas, c’est de l’air qui passe par des taux sonores, cela ne sent pas.”
(avec Théodore Monod, Dictionnaire humaniste et pacifiste.)
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Leslie :
Coucou
Attention c’est journal un peu du coup
Et c’est pas la grande forme aujourd’hui… Les risques du métier.
Je n’ai réussi le truc des règles du jeu, peut-être parce que ça ne colle pas aux types d’extraits que j’ai choisis ? J’ai fait des chapitres à la place.
- C’est la merde
Se faire défoncer la bagnole par un autre pauvre qui prend la fuite
La débandade
On a de bonnes raisons d’être en colère aujourd’hui
moi je bous
ça me fatigue
je veux aller me coucher alors qu’il n’est même pas huit heures
être en colère c’est comme être malade
Je n’ai toujours pas réussi à dire ce que je voulais depuis ce matin !
Mes projets, mes désirs
La récupération du DIY jusque dans les kits IKEA est l’occasion d’aiguiser notre définition de l’autonomie. Quand le philosophe franco-grec Cornelius Castoriadis défendait un « projet d’autonomie », il s’agissait d’auto-détermination populaire, de liberté d’un peuple assemblé à se choisir un destin commun. Voilà cette exigence qui sombre dans le désir d’autonomie que nous vend Castorama.
C’est marrant j’ai bossé pour Castorama alors que j’aime quand même le projet d’autonomie de Cornelius Castoriadis.
tant pis pour la pureté
c’est pas la pureté qui nous sauvera finalement
Je n’écoute plus les infos, ça m’a tué l’espoir
J’ai compris petit à petit que ça serait pire après
Il est prédit :
que les machines dédiées à la navigation peuvent
être dénuées de rameurs de sorte que
les plus grand navires sur les rivières ou les mers seront
propulsés par un seul homme à
une vitesse plus grande que s’ils étaient
remplis d’hommes
et on ne peut rien y changer.
- La musique
« C’est qui, ce juif ? » A demandé avec un certain déplaisir l’un des convives en désignant une petite lithographie colorée, au mur du salon. « C’est Stravinsky », a répondu ma grand-mère. Le lendemain, elle a déplacé la lithographie pour que les invités ne la voient plus.
Elle aimait bien avoir des invités
Maintenant elle n’aime pas trop les arabes
ma grand-mère juive
le temps a tamisé les histoires de son enfance en Algérie
il n’en reste que six ou sept, pas les meilleures
la semaine dernière j’ai réalisé qu’elle pouvait mourir toute seule (moi aussi)
Il faut la rassurer (moi aussi)
This world is not conclusion.
A Species stands beyond –
Invisible, as Music –
But positive, as sound –
- Ça ira mieux demain
C’est curieux comme tout se met en place et s’apaise. Les sombres inconnues qui s’étaient dressées devant nous au début du voyage se sont peu à peu dissippées et ont fait place aux maigres prespectives qui sont aujourd’hui les nôtres.
C’est mon tour de dormir. Dormir dans la voiture, dormir, rêver sa vie, le rêve changeant de cours et de couleur à chaque cahot, menant rapidement l’histoire à son terme lorsqu’un cassis plus profond vous ébranle, ou un changement soudain dans le régime du moteur, ou enfin le silence qui déferle quand le conducteur a coupé le contact pour se reposer lui aussi.
- Je ne fume pas, je ne bois plus.
Sur la neige ou sur le sable
tu peux tomber de cheval –
ivresse du saké
On ne peut fumer plusieurs cigarettes en même temps, mais il est des circonstances où, voulant allumer une cigarette, vous vous apercevez que vous en avez déjà une à la bouche que vous avez oubliée. C’est moins anodin que vous ne le pensez.
Un véritable pétrin de boulanger.
Avec le Magazine saveurs, Octobre 2016 — Les aventures de Maqroll le Gabier, Alvaro Mutis. — Egologie, Aude Vidal — Tu ressembles à une juive, Cloé Korman — L’usage du Monde, Nicolas Bouvier — Selected poems, Emily Dickinson — Y en a marre d’être pauvre, Fabienne Yvert — Woman and Nature : the roaring inside her, Susan Griffin (in Reclaim, Anthologie de textes ecoféministes, Emilie Hache) — La méthode simple pour en finir avec la cigarette, Allen Carr — Haikus, Bashô
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Jessica, (dont c’est le 1er atelier avec nous) :
Bonsoir,
Je ne sais pas trop si j’ai bien respecté le cadre d’écriture…
“poétique”
=> 31 mars. Après-déjeuner au soleil. Etonnement d’un silence inhabituel, étourdissant tant il est plein. Vertige du vide sonore, soudain troublé par le chant gaillard d’un merle audacieux, venu se poser sur le rebord d’un bac de fleurs. Les notes de ce petit monde urbain se réinventent …
(source : Fabrice Humbert, Le monde n’existe pas
“De même qu’un coup de poing au cinéma n’a rien d’un vrai coup, l’environnement sonore est une réinvention.”)
“journal intime”
=> Journée difficile. La solitude m’épuise, et j’ai l’impression d’être un oiseau en cage. Paradoxalement, j’ai pourtant plus de nouvelles de mes “proches” ces derniers temps, mais cette sur-présence me gêne, me parasite tout autant qu’elle me réconforte. Manque d’habitude sans doute.
(source : Laurent Gaudé, Salina
“Je ne te tuerai pas mais je te bannis. Que le désert fasse de toi ce qu’il voudra. Pour toi, la solitude et l’errance.”)
humoristique
=> Drôle de rêve, cette nuit. Moi, cette combinaison repérée dans une boutique et … Karl Lagerfeld. Sacrée bande ! Le pape de la mode m’enguirlande copieusement (je n’aurais peut-être pas dû manger de la tarte hier …), la jolie combinaison ayant une tendance persistante à marquer des agrégats disgracieux de chairs non conviées à la fête de la mode. Bon, eh bien, pas de Fashion Week pour moi, ressortons le jogging, mon allié et mon armure !
(source : Léonor de Récondo, Pietra viva
“Michelangelo se lève. Il marche tant bien que mal et sèche ses larmes. Il veut dormir. Ne pas rêver, ne se souvenir de rien.”)
Parti pris journalistique
=> Discipline de fer dans cette famille de trois enfants. La mère déclare que c’est un indispensable pour le bien-être de tous en ces temps d’enfermement. Et, de fait, l’organisation de l’emploi du temps de la fratrie est quasi militaire. Le matin est ainsi consacré aux tâches scolaires, les enfants devant ensuite aider à la confection du repas. Après une récréation méritée, le reste de l’après-midi permet aux enfants d’approfondir leur culture personnelle par la lecture ou les jeux de société pédagogiques. Le dîner est l’occasion de faire le point sur les tâches du lendemain. Et tout ce petit monde va sa coucher tôt pour affronter vaillamment les exigences du lendemain.
(source : André Gide, La porte étroite
“Il m’était aussi naturel de me contraindre qu’à d’autres de s’abandonner, et cette rigueur à laquelle on m’asservissait, loin de me rebuter, me flattait.”)
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Dominique :
Hello Fabienne me voici de retour! En bonus ,un petit acrostiche dessiné à Cuba
et 3 petites bonnes femmes de Matha Jiménez, une artiste de Camagüey…
Retour morose et nostalgie…
Nuxe,la nature est prodigieuse
Sun, crème fondante haute protection aux fleurs d’eau et de soleil…
Exactement ce qu’il me faut en ces temps moroses!
30 mars au matin :
ouvrir les volets, tous les volets, pour faire entrer le soleil.
Ouvrir les portes sur l’extérieur.
Ouvrir les fenêtres pour sentir l’air et respirer…
S’enivrer d’air et de lumière
S’enivrer…
Tous les soirs, une seule chose nous rassemble encore: un verre de vin.
Quelques mots échangés “Faudra aller à Bergerac pour retrouver ce vin quand on pourra sortir”…
Sortir, sortir de la maison-prison, retrouvée sans joie, triste tête à tête, journées passée à s’éviter…
Attestation de déplacement dérogatoire, motif: éviter d’avoir à adresser la parole à sa femme…
Dans ma tête surgissent immédiatement les images de la ville, le quartier du Vedado, le Mâle on désert, la mer si bleue, le soleil ardent…
Je me réfugie dans mes rêves…
Je regarde par la fenêtre, ici aussi le ciel est bleu et la lumière du soir est douce et dorée : il est 19h.
“De la rutina”,livre de poésie cubaine ouvert au hasard (?) Explications no pedidas de Piedad Bonett
Un guide du routard posé sur le bureau, un marque-page de l’hôtel Havana libre pour retrouver la carte de La Havane…
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Manée :
Chère Fabienne, merci pour cette proposition, j’adore feuilleter et si je m’y suis perdue avec délice tard hier soir avec seulement deux montages, cette nuit dans mon sommeil deux autres partis pris me sont venus, alors ce matin je saisis tout cela ( vitesse de saisie d’une tortue ) et je t’envoie le premier montage pour que tu ne continues pas à penser que je n’ai ni compris (enfin j’espère !) ni travaillé !
DE L’ACTUALITÉ…
L’état compte ses sous, on comptera les morts
Le malade que nous sommes, ou nous serons un jour, a tout lieu de s’inquiéter. Le mal est profond. Il s’entend dans le nouveau langage qui s’est imposé au sein de l’institution et des pratiques hospitalières. Tel est l’éloquent symptôme qui révèle le dessein de faire de l’hôpital une nouvelle industrie au mépris de son humaine justification. Un dessein indicible, qui rêve de fondre le soin dans la technicité abstraite et gestionnaire de notre société
Quand j’avais franchi le grand portail en fer de l’hôpital, je devais être encore vivant. Du moins le croyais-je puisque je sentais sur ma peau les odeurs de la ville que je ne reverrais plus jamais.
Et alors même qu’on n’est pas encore conscient qu’un monde est au bord de sa chute, un trouble grandissant fait apparaître des ruines de toutes part
Un exercice difficile le montage, pour ne pas ajouter trop de sens au sens qui finit par tuer lourdement le sens…
Ici on établit régulièrement la liste des croyances, on appelle ça: faire un point. Ici on établit une croyance chaque jour plus vraie que la croyance de la veille. Il te faudrait venir chaque jour pour être exactement au fait de la croyance, mais tu serais tout de même toujours légèrement en retard, légèrement déboussolé. Tu donnerais l’impression de pédaler dans le vide, tu brûlerais de l’énergie pour rien, tu paraîtrais si petit si tu voulais vraiment te maintenir à flot. Ici on calme tes ardeurs, on arrête tes gesticulations. Si tu savais le nombre de données qui sont traitées ici pendant que tu cherches des yeux une indication pour comprendre. Entre.
Installe toi. Ce n’est pas ici que les croyants se fabriquent. C’est ici qu’on te les donne, qu’elles arrivent, qu’elles daignent descendre jusqu’à toi.
IL sait que les chats ont neuf vies, les hommes autant qu’ils le décident, qu’on est plus souvent qu’on ne le croit planté à la croisée des chemins, qu’il faut manœuvrer sans faiblir pour éviter l’enlisement, que c’est joyeux, l’aventure, au lieu de quoi, la plupart du temps on lui répond que la route est droite et le malheur ancestral, et lui qui porte plusieurs siècles sur le dos, ça le laisse sans voix.
Mais ce matin IL aura raison contre toute logique, IL sautera les barrières contre toute lampe braquée, IL aura le dernier mot contre toute logorrhée.
Avec : Banderole dans une manifestation des soignants en novembre dernier — Stéphane Vellut, L’ HÔPITAL UNE NOUVELLE INDUSTRIE, le langage comme symptôme. Tracts Gallimard, Numéro 12, Janvier 2020 — Ahmed Bouanami, L’hôpital, Ed Verdier — Annie Le Brun, PERSPECTIVE DÉPRAVÉE, entre catastrophe réelle et catastrophe imaginaire, Éditions du Sandre — Mariette Navarro, Les chemins contraires, Cheyne Editeur
CADAVRE EXQUIS
A l’intérieur de sa maison, tout est en mouvement.
Des objets sont étalés partout.
Certains parlent du passé- La théière de sa grand-mère-
et d’autres du futur- les carnets à remplir.
au delà de la pierre le vertige des
fontaines rouillées de fonte taries les
mulots et les fauvettes s’y disputent
le pain bénit que je leur dispense
que l’herbe serait douce à qui vou-
drait s’étendre qui a fermé les vannes
des fontaines rouillées ? les bancs
ruminent l’absence des convives les
les feuilles que le vent emporte jusqu’aux
traces de leur pas oh qu’il est doux
le temps des fontaines qui chantent
TAGETES
Famille des Asteraceae
Tagetas lucida
Plante annuelle sous nos climats, aux tiges dressées de 30 à 40 centimètres de hauteur. Fleurs d’un jaune orangé vif à capitules nombreux et petits. Parfum très agréable. Saveur aromatique rappelant celle de l’estragon
En somme, il faut éliminer radicalement la concurrence mercantile avec l’appétit individuel d’or et de gloire pour que l’individu puisse s’épanouir.
Avec Mélanie Ruttin, Nour, le moment venu, éditions MeMo — Francis Ricard, En un seul souffle, Cheyne Editeur — Les semences de Kokopelli, manuel de production de semences dans le jardin familial — Les utopistes, Karl Marx et Friedrich Engels, petite collection Maspero
À TRAVERS LES SIÈCLES , XVIII, XIX ET XX
Dans les airs frémissants j’entends le long murmure
De la cloche du soir qui teinté avec lenteur.
Les troupeaux en bêlant errent sur la verdure;
Le berger se retire et livre sa nature
À la nuit solitaire
Déjà les beaux jours, la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs;
Et rien de vert : à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameau noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie
Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau
Le printemps verdissant et rose;
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui souriante, sort de l’eau
Dans l’air de plus en plus clair
Scintille encore cette larme
ou faible flamme dans du verre
quand du sommeil des montagnes
monte une vapeur dorée
Demeure ainsi suspendue
sur la balance de l’Aube
entre la braise promise
et cette perle perdue
Avec Châteaubriant, Les tombeaux aux champêtres — Gérard de Nerval, Avril — Philippe Jaccotet, Lune à l’aube d’été – Gallimard
HAÏKU
C’est cette nuit en rêve que m’est venue cette idée
du parti pris d’un montage à La haïku,
je me suis levée pour chercher un papier et un stylo
de crainte que le rêve ne s’évanouisse.
Tu t’en vas sans moi ma vie
Tu roules
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
A cause de ce manque, j’aspire à tant.
A tant de choses, à presque l’infini…
À cause de ce peu qui manque, que jamais tu
n’apportes
Il est vraiment étrange que moi qui me moque
du patinage comme de je ne sais quoi,
à peine je ferme les yeux,
je vois une immense patinoire.
Avec Henri Michaux Ma vie et Le sportif au lit, La nuit remue, Poésie / Gallimard
PS: oui, les consignes de Fabienne Yvert nous poursuivent la nuit …
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Sylvie : C’est toujours une surprise…
1/
Je vis sans télévision depuis plus de trente ans, mais de 1968 à 1980 elle fut dans la ferme au bord de la Santoire un œil ouvert sur le monde.
2020. Depuis le 16 mars je vis confinée dans un entre deux mondes : celui de l’information, continue, qui égraine à heures fixes sa litanie de nouvelles, le nombre de malades, toujours plus qu’hier. L’extérieur est devenu un monde inquiétant, un monde où peu s’aventure.
La musique, le silence, les émissions de radio, grand bien vous fasse. Les oiseaux font leur parade, les merles sifflent, les hirondelles ne sont pas encore arrivées. A l’intérieur c’est rassurant. Calme. Je suis bizarrement rassurée par ce petit monde clos.
Je respecte les gestes barrières ! Chaque soir les soignants sont applaudis.
Le service et le soin sont toujours une relation asymétrique : celui qui est soigné ne pourra jamais rendre ce qu’il a reçu. C’est un donné sans retour. Ce mode de relation est directement celui de visage à visage. Le serviteur n’est pas plus grand que le maître et, dans le soin, le maître est le malade, c’est-à-dire le faible, le petit, le vulnérable.
Mardi 31 mars.
Juste au dessus de la porte un raie de lumière orangée dit la couleur du temps.
La fraîcheur du dernier matin de mars. Je me lave les mains.
Je prends le petit déjeuner avec ma robe de chambre à carreaux jaune et turquoise, lui la trouve encore belle.
Ce matin je n’ai rien fait. Juste répondu au téléphone. Je dis comment ça se passe.
On prend des nouvelles les uns des autres.
Je bricole, je lave, j’aspire, je range… Le téléphone encore, une personne sans abris, une maman avec son bébé, elle a peur qu’on le lui enlève. Oui, bien sûr elle peut sortir avec son bébé. Une vieille intrépide ne tient pas en place, elle n’en fait qu’à sa tête. Elle a des idées de transgression.
Ce soir deux avions de chasse sont passés. Lui se couche tard.
Avec Marie-Hélène Lafon, Traversée, Chamonix, éd. Guérin, 2015. — Dominique Rivière, Sur l’autre rive de la vieillesse, Toulouse, éd. Érès, 2017.
2/
Mars le surpris. Il resta deux jours sans mettre les pieds dehors. C’était certain qu’il resterait confiné jusqu’à la fin du printemps. On lui apportait des sandwichs dans la chambre. Il souffrait. Chaque bruit du dehors lui faisait mal.
Cependant, avril bourgeonnait aux marronniers des squares. Les effluves chaudes de la pluie réapparurent dans la ville. Dans les quartiers désertés les chats s’accouplaient en miaulements rauques. Le vent dispersait certaines graines. Tout était changé. L’air lui-même.
Mai étira ses jours. Aux bourrasques sèches et brutales succéda le souffle d’une brise souple chargée d’odeurs. Un bruit semblable à celui de l’eau venait des hauteurs : c’était celui du vent dans les forêts. Réapparaissaient les saules, les osiers, les prés, les jardins, les fleurs et une certaine raison de vivre.
Avec Francis Carco, Jésus-la-Caille, Paris, Le livre de poche,1964. — Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, Gallimard, 1996.
3/
Été. Le paysage est un travail, un vaste chantier géologique qui dépasse la force des personnes.
Arrivé à l’endroit où il désirait aller, il se mit à planter sa tringle de fer dans la terre. Il faisait ainsi un trou dans lequel il mettait un gland, puis il rebouchait le trou. Il plantait des chênes. Je lui demandai si la terre lui appartenait. Il me répondit que non.
J’arpente le pays premier et je connais la litanie incarnée des ses noms, noms de lieux, noms de personnes.
Trotte chien, la Ménardière, la Hutte, le Moulin enragé, chez Jaulin, chez Christin, le Né
Avec Marie-Hélène Lafon, Traversée, Chamonix, éd. Guérin, 2015. — Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, Gallimard, 1996.
4/
Aide-soignante comme prophétesse du service
Infirmier comme porte-parole du sans voix
Commenter le journal
Éplucher quelques fruits
« La java bleue »
Chanter
« Étoile des neiges »
Ou la joie d’être ensemble
« Le petit vin blanc »
Toujours gratuitement
Le vieux sait très bien qu’un jour
Tout sera abandonné
Elle sortit du bar après avoir vidé son verre
Il lui semblait que tout lui échappait
Brusquement
Comme cela s’était vite accompli !
Vous êtes tous
Nous sommes tous
Des gens âgés dépendants car
Nous avons besoin les uns des autres
Pour le comprendre
Le cerveau du vieux… est âgé
Même pas besoin d’être médecin
En réalité
Avec Dominique Rivière, Sur l’autre rive de la vieillesse, Toulouse, éd. Érès, 2017 — Bernard Ennuyer, Commission des affaires sociales, 26 janvier 2011 — Francis Carco, Jésus-la-Caille, Paris, Le livre de poche,1964
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Jeanne : (qui a enregistré et envoyé pour la 1ère fois des fichiers sons avec son téléphone)
Génial ! … C’est fou ce qu’on découvre avec l’atelier d’écriture …
ci-joint, une clampe cubaine
Avec Tulle mag, mars 2019
Avec le Guide du pays de Tulle 2019 /2020
Avec Paul Colize, Un long moment de silence
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Sylviane :
1
Jeanne parle ; elle dit des choses qu’elle ignore ;
elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore,
à la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament,
à l’immense nature, un doux gazouillement
tout un discours profond, peut être, qu’elle achève
par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve,
murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé.
Je voudrai réfléchir seul cette nuit.
Il s’est passé trop de choses ces derniers temps.
C’est tout.
Avec Victor HUGO et Haruki MURAKAMI
2
On vient de se réveiller, on se souvient de quelque chose, mais on n’arrive pas à se souvenir ce dont on a rêvé. Certains monstres n’en sont pas : ils se fabriquent à l’intérieur de quelqu’une ou de quelqu’un sans faire de bruit et se tiennent là, en ami secret.
Demander à quelqu’un « Bonjour, ça va ? » , c’est prendre le risque qu’il me réponde « Ferme ta gueule ». Comprendre les hommes du temps jadis suppose de prendre en compte ce qu’ils ne savaient pas.
Avec Ludmila OULITSKAÏA — Claude PONTI — F. KECK — A. CORBIN
3
Depuis tout à l’heure, quand je tends l’oreille, je perçois des bruits.
Mon environnement ne change pas,
je regarde passer le temps et pousser mes légumes.
Ces légumes printaniers sont l’une des rares fenêtres ouvertes sur le monde extérieur.
Des scientifiques se demandent si la propagation du virus est en rapport avec les conditions météorologiques : température de l’air, taux d’humidité… Qui peut bien savoir les préférences du virus ?
Si aucune antithèse ne vient réfuter une hypothèse, aucun progrès scientifique n’est possible. Une antithèse est un champ de bataille dans le cerveau.
Dans l’attente, préservons ce qui est.
Le printemps est un nourrisson dont il faut prendre soin. Il est fragile, éphémère.
Avec Ito OGAWA — Ryoko SEKIGUCHI — Haruki MURAKAMI
4
Je vivais dans un western arrosé de lumière et l’enfance coulait à nouveau en moi, limpide, irrigant chaque parcelle de mon corps.
Débarrassée des contraintes de la vie quotidienne, n’ayant pour seule préoccupation que celle de ne pas mourir, l’énergie montait en moi comme une force nouvelle.
Plus rien n’avait d’importance, la vie s’était arrêtée alentour. Seuls les oiseaux continuaient leurs aller-retour aux nids, les bourgeons s’enflaient jusqu’à éclater libérant de minuscules feuilles vertes.
Quelquefois je me demandais si je verrai l’été… Qu’importe, chaque matin m’apportait sa radieuse journée. Je m’affairais à faire pousser des légumes, à écrire aux amis, à résoudre quelques sudokus diaboliques, à faire la sieste au soleil allongée dans l’herbe.
Cette vie me plaisait. Allait-elle durer ? Je m’imbibais d’être.
Qui était-elle celle- là ?
Son reflet dans le miroir avait la grâce d’une belle journée de printemps, comme une flaque de soleil déposée juste là.
Avec Negar DJAVADI — to OGAWA
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
David :
Avec Quand les artistes dessinaient des cartes – vues et figures de l’espace français, moyen age et renaissance (catalogue d’exposition) — Cormack McCarthy, De si jolis chevaux (roman) — Lauren Groff, Floride (nouvelles) — Sei Shônagon, Notes de chevet (Japon XIe siècle) — Français -1000 mots pour réussir – guide pour les classes de seconde, première et terminale — article de l’Echo du centre (2016) sur la sécurité routière signé S.H.
Les trois premiers textes sont du pur collage à partir des références ci-dessus dont j’ai extrait au hasard des pages certaines phrases, sauf l’article de journal que j’ai choisi.
1
Les gendarmes faisaient la chasse
aux chauffeurs de poids lourd
adeptes de films vidéo
au volant de leur quarante cinq tonnes
Ils bivouaquaient la nuit
sur les hauts promontoires
leurs feux cisaillés par le vent
Tour à tour chassé, repoussé, excommunié
ou au contraire fêté, recherché, imploré
L’errant apportait avec lui
un monde de damnation
ou un monde de salut
L’homme orange en danger
objet de toutes les convoitises
n’était lui même qu’un deuxième christ
trop vite, trop près, trop distrait
en dépit de maladresses certaines
Peut-être aussi un malheur
qui l’accablait s’en est allé
la preuve avec ce camion en accordéon
la preuve que rien n’advient n’importe comment
2
Je ne sais pas comment j’ai pu
devenir une femme qui hurle
la dureté et le cynisme dominant
m’ont laissé exsangue et épuisée
j’ai l’impression d’être un objet dans le décor
voilà qui est clair
la famille peut subsister
il faut qu’elle perde son contenu répressif
mon mari lui n’est pas un homme qui hurle
les jeunes enfants vont et viennent
le visage fermé
l’herbe qui endure me fait pitié
il leur raconte le pays
les gens qui y vivent
et les gens qui sont morts
et comment ils sont morts
il faut supprimer l’autorité patriarcale
et tous les rapports de possession
qui caractérisent la famille
alors respect des consignes ! plus que jamais !
3
Les hommes sont convaincus
que la guerre se guérit par la guerre
comme le guérisseur
prescrit la chair du serpent
pour guérir sa morsure
l’herbe aventureuse
croît dit-on sur les falaises
j’ai pris l’habitude après le dîner
d’enfiler mes baskets pour sortir marcher
c’est qu’avec ces mains inconnues
qui caressent encore l’air
un relâchement de vigilance
le quartier n’est pas très sûr
bien qu’il soit ancien
le quartier s’assombrit
à mesure que j’avance
les textes 4 et 5 sont un collage d’extraits des mêmes textes avec des ajouts et des modifications personnelles.
4
Je suis l’homme orange en danger
je marche vite pour me réchauffer
au bord du grand champ
tapissé d’une herbe de couleur tendre
l’espace forestier se dessine
sous la forme d’une masse sombre
de couleur bleu vert
je marche au bord de la route
il faut redoubler de vigilance pour ne pas être shooté
par les voitures les camions les camping cars
je suis parfois un homme qui hurle
dans un temps ou le conquérant
par la logique même de son attitude
devient exécuteur et policier
l’artiste est forcé d’être réfractaire
je rêve de bivouaquer la nuit
sur les hauts promontoires
mon feu cisaillé par le vent
la dureté et le cynisme dominant
m’ont laissé exsangue et épuisé
5
Je n’aime pas respecter les consignes
J’aimerais tant faire des dessins
dessiner serait comme le synonyme
d’être attentif à l’herbe aventureuse
qui croît sur les falaises
ou à la surface d’un étang calme et limpide
un chat sauvage détale sous mes pas
Artiste c’est un métier dangereux
on est tour à tour chassé repoussé excommunié
ou au contraire fêté recherché imploré
au fond il faut rester nomade
s’en tenir à la part la plus archaïque de nous même
être comme l’enfant qui va et vient
le visage fermé et qui soudain s’éclaire
comme si le malheur qui l’accablait
s’en était allé
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
(sorry, j’ai oublié de qui et de quel album jeunesse est sorti cette magnifique illustration…)
Bon, visiblement, mes explications sont trop confuses pour la plupart d’entre vous, en “vrai”, on arrive à se comprendre, mais à distance, c’est plus compliqué…
Pour clore, un poème encourageant de Robert Desnos, dans Destinée arbitraire (gall.)
& puis, dans 5 minutes, c’est le 1er avril : (je ne sais plus dans quel livre — sur les vêtements, à cause de cette jupe-pagne aux poissons? — j’ai vu cette photo bien mieux que ça)