matériel et linotype
Trouver du matériel typo à un prix abordable ne devient pas simple. Remarque, ça ne l’a jamais été : les imprimeurs à leur époque l’ont acheté cher, et souvent, un peu aigris en fin d’activité, rechignent à le céder à un prix “dérisoire” comparé au prix d’achat. Le prix symbolique est cher aussi : c’est toute leur vie qui s’en va, à une époque où les processus d’imprimerie sont de plus en plus numériques. & il y a du monde sur le marché de la reprise, pas forcément imprimeurs : des brocs, des décorateurs, des graphistes qui veulent s’amuser, etc. Sur les sites d’occasion, on trouve souvent des gens qui vendent les caractères bois à la pièce (tu peux t’en servir comme tampon, avec tes initiales, ou pour composer ton nom d’art director qui ne lit pas à l’envers par ex…), ça me rend furax, alors que ce matériel peut toujours servir pour l’imprimerie, mais y’a pas de petits bénefs….
Cette fois, ça n’était pas en regardant les petites annonces. Un monsieur est entré à l’atelier, en passant par hasard devant. Son père était imprimeur, une partie de son matériel est dans son garage, cela pourrait peut-être nous intéresser ?!
Garage bien rangé mais rempli du sol au plafond de matériel divers, pas que d’imprimerie, quelques casses de bois et de plomb, des caractères dépareillés, des lingots en alu, une presse à épreuve A3, quelques clichés, …
Bien sûr, celui-ci m’a fait bondir ! Oui, je le veux, j’en ai besoin, je sais tout de suite quoi en faire!!
& puis, je n’ai pas pu m’empêcher de photographier cette petite caisse avec les ficelles bien rangées qui servaient à ficeler les compos (une composition : le bloc de texte composé au plomb et bien justifié, en plusieurs lignes, avec des interlignes entre les lignes). Je trouve ça particulièrement touchant ; un monde disparu…
Après, “déménagement”, nettoyage, rangement… Le lingotier est bien rempli !! Il faut aussi trier une caisse de caractères bois en vrac, dont un petit caractère étroit, miam, même s’il n’est pas tout à fait complet (il manque certains caractères, ou certaines lettres sont peu nombreuses…)
& pour celui-ci, il n’y a que quelques lettres accentuées et le & que j’aime tant ; & il est beau!!! Vivement de l’utiliser !
& puis, il y avait cette “barre” dans une caisse, qui m’a fait bondir, alors qu’il n’y avait plus aucun matériel de linotype (il se trouve que j’avais été dans l’imprimerie du père du monsieur il y a… une vingtaine d’années, et donc que j’avais vu son matériel, alors, qu’il avait dû vendre entre temps…)
Ceci ne vous dit probablement rien, hormis qu’on se demande à quoi peut bien servir cette pièce usinée (et usée)…
Je n’ai pas trouvé le film idéal, mais avec celui-ci, on comprend le fonctionnement de cette machine : la linotype est une machine exceptionnelle de composition : de l’horlogerie suisse qui pèse 1t. Un bijou de précision !
« Cette combinaison de machine à écrire et de micro-fonderie »
ici, vous pouvez en savoir bien plus sur cette géniale mécanique, comprendre les subtilités des rouages et des dentures.
mais surtout, ces films là sont extrêmement précis pour mieux comprendre : 1 & 2
Il avait fallu apprendre un autre type de clavier (pour le français, correspondant pour chaque langue aux gestes des doigts les plus ergonomiques par rapports aux lettres les plus usitées) : 6 rangées de 15 touches, correspondant à 90 matrices différentes, divisé en trois grandes zones :
à gauche, les lettres de bas de casse (minuscules), au milieu, les signes de ponctuation, les chiffres, les ligatures et les lettre spéciales (par exemple les petites majuscules), à droite, les lettres capitales.
(photo Laurent Carte, en 2001 dans l’atelier de Harpo&, ça nous rajeunit pas, hein!)
Faut dire aussi que contrairement aux apparences, ça n’est pas une machine sur laquelle on travaille “décontracté”. Il fallait faire attention à tout, avoir l’œil et l’oreille perpétuellement aux aguets (et faire attention à ses mains, c’est comme pour les menuisiers, c’est une profession avec des doigts en moins…)
& puis, cette scène du Miroir de Tarkovski, qui me fait doublement penser à la linotype, en entendant le poème russe : quand je travaillais avec/pour Harpo&, on avait racheter des magasins (un magasin c’est une “casse typo” de linotype) à une imprimerie russe parisienne, pour imprimer des livres de poésie bilingue. Un linotypiste, pour se venger de ses conditions de travail ou de fin de travail, avait systématiquement vidé toutes les colonnes de e (je ne sais plus si c’était cette lettre, toujours est-il que du coup, c’était inutilisable. Il avait fallu trouver les mêmes polices en français, et recranter les matrices pour qu’elles tombent dans la bonne colonne…)
une autre photo de Laurent carte, avec un N&B magnifique, Harpo devant sa machine à écrire qui éjecte des toasts en bout de ligne, c’est tout à fait le principe de la linotype!!