atelier d’écriture du lundi n° 15
Manée m’a prêté le livre d’Hervé Brunaux, Leçons de choses, au Dernier Télégramme, dont voici des extraits :
& vous, mêlez votre quotidien, pensées et activités personnelles, depuis 1 ou 2 semaines (ou plusieurs mois), et l’extérieur qui s’y télescope : des choses du monde, auquel(les) vous avez été confronté(es), dont vous êtes au courant, qui vous arrivent par divers moyens de communication…
Trouvez une forme qui vous convienne pour marquer la modification dans la répétition ou le défilé du temps.
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Avant l’atelier, Sylviane passe faire un coucou, en allant à l’inauguration au bout de la rue du restaurant indien (Aroma, 8 Quai DE RIGNY) ouvert récemment par Salamat, jeune pakistanais dont elle connait bien toute la famille (et la cuisine : — De toute façon j’ai mangé chez eux, je sais qu’ils cuisinent bien, les hommes plus que les femmes !) depuis qu’elle donne des cours de français, et qu’elle a aidé pour que ce projet aboutisse (le banquier est invité, les gens du Cada qui se sont occupés de lui, la dame de la mairie qui s’est occupée du dossier, etc..!) La Montagne va bientôt faire un papier sur tous les restaurant de Tulle, dont Aroma…
Elle voudrait venir l’année prochaine à l’atelier d’écriture, nous discutons jours et heures.
Puis, voici Agnès, la 1ère arrivée, puis David, et Sylvie.
Hélène se fait opérer justement aujourd’hui, on la retrouvera à la rentrée, et Manée est à Paris, pour l’exposition de Marc Pataut, mais fera j’espère ses devoirs à la maison!
Jean-Pierre et Zoé passent en coup de vent direction Saint-Pardoux, en venant directement d’Augerville; ils devaient arriver avant, et on aurait eu un peu le temps de causer, mais là, je mets dans les bras de Jean-Pierre les choses préparées pour lui (les phrases en verre, de la colle invisible pour le verre ocazou, Dans les choux et l’affiche du FJT!) et ils filent, car c’est l’heure passée de commencer l’atelier! C’est le dernier de cette saison.
• David :
Dans ma vallée perdue, la rivière coule toujours mais c’est jamais la même eau.
Samedi en juin.
Je me suis exercé à sauter en VTT, se retrouver en l’air sur un vélo c’est pas naturel, tellement grisé par cette séance, je me suis ramassé la gueule par terre, je suis rentré chez moi tout esquinté.
Au Mali, un village Dogon a été rayé de la carte.
Dimanche au mois de mai.
J’ai passé mon dimanche matin à clouer des liteaux sur mon toit, jusqu’à 11h, la chaleur rendant toute tâche insupportable, je suis redescendu me mettre à l’abri.
Sur l’Everest, 11 personnes sont mortes, de folie et de froid dans la zone de la mort, dans un embouteillage. Chaque année ça recommence.
Vendredi en mai.
Je me prépare à accueillir des jeunes en médiation pour une exposition d’art contemporain, mon pneu arrière gauche éclate peu avant d’arriver, j’étais en avance, je suis en retard, j’ai les mains toutes noires.
En Sibérie, les ours polaires attaquent les gens, ils n’ont plus rien à bouffer, les glaces ont fondu trop tôt. Tout est déréglé.
Samedi en juin.
Aujourd’hui pas de vélo, il y a des champignons et c’est prioritaire sur tout. Je suis avec mon fils dans les bois, c’est beau, ça sent bon, on remplit nos poches en plastique de girolles. Ce soir, ce sera un régal avec un bon Cahors.
En Inde, sept personnes sont mortes en nettoyant la fosse septique d’un grand hôtel. C’est atroce et pourtant ça m’a fait rire. J’ai honte.
Dimanche au mois d’avril.
Je suis à côté de notre ruche. Ça s’agite là-dedans avec les belles journées, les premières floraisons, la colonie est devenue très forte. C’est fascinant à observer, peut-être aurons-nous un peu de miel, si tout va bien.
Tous les jours on parle des abeilles, et c’est pas gai, ça me rend misanthrope, limite haineux du gâchis planétaire dans lequel on se complait. Autant pour moi.
Dimanche au mois d’avril.
Ce matin, je vérifie ma grille de loto de la veille, je suis comme tous ces milliers de pauvres glands qui croient qu’un simple coup du hasard peut les sortir de leur condition.
En Angleterre, deux super-glands ont gagné au loto plus de 20 millions d’euros en utilisant une carte bleue volée. Ils sont aujourd’hui en prison, encore plus pauvres qu’avant.
Mercredi au mois de juin.
La box internet vient de rendre l’âme. Pour mon fils, c’est la fin du monde, l’apocalypse, l’enfer et la désolation ; à la maison tout le monde râle, j’adore.
Une gigantesque panne de courant vient de priver la moitié de l’Amérique du sud d’électricité. J’imagine l’ambiance dans les maisons. Ça doit être torride.
• Sylvie :
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Le robinet de la salle de bain fuit, il faudra bien que je prenne le temps d’appeler le plombier.
La semaine dernière, c’était jeudi, B. m’a laissé 4 messages pour me dire qu’il venait d’être arrêté par les gendarmes alors qu’il pointait quotidiennement à la caserne de la rue de la Botte. Il a été conduit dans un centre de rétention, on appelle ça un CRA. Les gendarmes lui ont fait peur et lui ont dit, au moment où ils le menottaient, qu’il avait un billet d’avion pour le soir même pour Kinshasa. Je ne sais pas quoi faire.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Ce matin pour la première fois ce printemps, j’ai mis les volets en tuiles. Le soleil est déjà chaud.
En écoutant la radio, ce que je fais chaque matin, une femme politique parlait de son engagement pour l’environnement et de cette idée qu’il fallait démanteler les centrales nucléaires. C’est un nouveau chantier économique. La France possède des savoirs-faire dans ce domaine.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Depuis plus de 3 semaines, je dois porter une grande gouache chez l’encadreuse. Elle part à la retraite à la fin du mois et je voudrais lui confier ce dernier travail.
Dimanche soir sur la route en rentrant de Périgueux, j’ai écouté du théâtre radiophonique. Une pièce d’une jeune dramaturge écossaise — associée au théâtre d’Edimbourg — était jouée. Une histoire de démon qui redoute l’amour et le désir, et qui pour cela va anéantir l’Europe et faire de la Méditerranée une frontière dangereuse et infranchissable.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Les asperges étaient très belles au marché. Asperges sauce mousseline ou en risotto ? Je peux en prendre un peu plus pour faire les 2 recettes.
Je me souviens avoir lu un grand article, posté sur les réseaux sociaux, sur les commémorations du débarquement du 6 juin 1944. De larges extraits des mémoires du général de Gaulle y étaient retranscrits. Il expliquait pourquoi il refusait de participer aux côtés des anglais et des américains à ces commémorations qu’il considérait comme la commémoration d’une invasion.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Une vieille dame que je visite régulièrement vient de m’apprendre à faire du crochet. Je connais maintenant 3 points.
En Malaisie, les bateaux remplis de plastiques et d’ordures n’ont pas pu accoster. Ils ont été rejetés. Beaucoup d’images de plastiques sur les mers, d’oiseaux faisant leur nid avec des déchets, de poissons morts étouffés, d’arbres dont les branches attrapent des sacs poussés par le vent.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Enfin j’ai pu mettre mes nouvelles chaussures rouges, elles brillent un peu. J’ai aussi pu mettre du vernis sur mes ongles de pied. J’aime bien cette fantaisie.
En parlant avec une voisine, elle me signale une femme — 65 ans environ — qui semble dormir dans la rue. Je prends quelques renseignements et la rappelle dans la soirée : cette femme a maintenant un logement mais elle a vécu dans la rue autrefois. Les services sociaux la connaissent.
Ma voisine est un peu rassurée, mais ce n’est tout de même pas la réponse qu’elle attendait.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Les orchidées de la cuisine sont en fleur, sur les 5, 4 ont des fleurs : rose parme, tachetée de rouge sombre, blanche bordée de rose avec le cœur jaune, blanche veloutée. Il faudra aussi que je prenne le temps de rempoter quelques plantes du balcon, j’ai un petit arbuste qui commence à souffrir dans son pot trop petit.
Je viens de terminer la lecture d’un livre qui s’appelle « Pourquoi l’amour c’est si compliqué », il a été écrit par un médecin anthropologue et sexologue. Sa question est de savoir pourquoi il y a tant de violences entre les hommes et les femmes et tant de malentendus. On parle d’égalité Homme-Femme…
Chaque matin j’ouvre mon agenda, (il est griffonné de rendez-vous).
Ma plaque d’immatriculation est tombée, hier soir, je l’ai raccrochée avec un trombone, c’est tout ce que j’avais sous la main. Un peu ridicule, je sais, quand je suis allée chez le garagiste.
Chaque matin j’ouvre mon agenda, il est griffonné de rendez-vous. J’ai toujours peur de l’oublier quelque part, d’oublier une rencontre, de ne plus me souvenir.
Depuis 1987, je les garde.
• Agnès :
Nouveau jour 1
Je me réveille avec les plic-ploc répétitifs de la pluie sur les planches de bois de la cabane. Comme le son répétitif d’une boîte à rythme. Marre de la pluie. Marre du froid et de la grisaille.
A la radio le journaliste de la matinale récite les gros titres. Décidément tout va mal.
Nouveau jour 2
Les roses sont gorgées d’eau. Les branches alourdies de ce poids qu’elles n’attendaient pas plient dangereusement vers le sol. Si ça continue, certaines vont casser. Et les fleurs pourrir. Ça va être moche. De l’autre côté de la vitre un merle posé sur la table du jardin me regarde. Il s’en fout bien lui de la pluie et du pourrissement des choses.
Ces hommes et ces femmes perdus au milieu de la mer dans leur coquille de noix, à quoi pensent-ils ? Peut-être ont-ils abandonné un rosier quelque part. Des fleurs, et des épines.
Nouveau jour 3
Elle m’a échappé des mains. Comme si mes doigts s’étaient refermés sur du vide. Cela m’arrive rarement de casser des choses. Ça a fait en tombant sur le carrelage un bruit terrible. Maintenant elle est en mille morceaux sur le sol de la cuisine. Mille morceaux coupants, éclatés, misérables. C’était ma préférée. Elle avait du en recevoir des bouillons, des consommés, des potages, des soupes. Ma préférée. Blanche avec des fleurs bleues posées sur le rebord, comme au bord d’un lac.
Dans les Alpes, les glaciers fondent. On entend les nuits leurs craquements lugubres. Ça s’éclate, ça glisse, ça tombe. En mille morceaux. Misérables.
Nouveau jour 4
Toujours la pluie. Toujours ça ruisselle. Ça n’en finit pas. Je voulais ranger les manteaux d’hiver, les pulls chauds, les bottes. J’hésite. Le thermomètre annonce 7 degrés. Je regarde la pile retirée de l’armoire, l’espace laissé vide. La pluie. Je renonce. Je rebouche le trou et referme l’armoire. Le chat boude, roulé en boule au pied du lit. Il me regarde par en dessous avec un drôle d’air morose. Il voudrait bien, lui aussi, enfin profiter du soleil, courir après les papillons, croquer les herbes folles.
C’est fou tout ce qu’on peut trouver comme saloperies dans le la farine toute bête qu’on nous vend en supermarché. A ce qu’il paraît.
Moi qui voulais faire des crêpes.
Nouveau jour 5
Le téléphone n’arrête pas de sonner. Des pubs. Encore des pubs.
Des tas de gens loin d’ici, payés sans doute une misère, pour emmerder d’autre gens toute la journée, sans même avoir le temps de faire une pause pour aller pisser.
Et moi, je ne décroche même pas.
Nouveau jour 6
Ce matin sur le net je trouve une conférence de Tobie Nathan à l’université de Nantes : comment rendre l’autre amoureux ? Tout un programme ! Sortilèges, philtres d’amour et compagnie… . Magique la conférence. Je ne vois plus le temps passer. Lui non plus d’ailleurs. Comme souvent lors de ses conférences, il n’aura pas le temps de présenter tout ce qu’il avait prévu, et nous laissera avec tout un tas de paragraphes, tout vide. Et de questions auxquelles lui seul peut répondre.
Un jeune garçon a été mis à la rue par ses parents parce qu’il est homosexuel. Il a subi pendant des années insultes, haine. Relégué au fond du garage où il dormait. L’hiver il était toujours malade. Le jour de ses 18 ans, il a retrouvé ses affaires dans un sac et son matelas devant la porte.
L’amour, tu parles !
Nouveau jour 7
Mon sac est prêt. J’ai hésité pour le remplir. Tee-shirts, shorts, bottes en caoutchouc et doudoune ? J’ai tout mis. Du coup ça déborde. Je vérifie de n’avoir rien oublié : lumières, volets bien accrochés à cause du vent, gamelles d’eau et de croquettes remplies à rad bord pour plusieurs jours. Enfin j’espère. Le chat me déteste. Je le sais. Ça se voit dans son regard. Déjà bien chargée je me penche avec précaution pour attraper le duvet chaud et l’oreiller rangés dans un grand sac à fleurs roses en plastique.
Partout dans le monde des mers de plastiques étouffent nos mers, nos océans. Comme des décharges flottantes. Immondes.
Il faut vraiment que je me décide à coudre de jolis sacs en tissu.
Nouveau jour 11
(Entre temps j’étais très occupée…)
Ce soir c’est la fête. Les compétitions sont terminées. On a bien bossé, et on a bien ri aussi. Et comme d’habitude le spectacle sur la Vézère fut magnifique. Entre danse et combat, le duo magique de l’Homme et de la rivière. Maintenant repos pour tout le monde. On va boire, on va danser. Jusqu’à pas d’heure.
La tempête a frappé la côte atlantique. Un marin pêcheur s’est perdu en mer. Trois sauveteurs de la SNSM partis le secourir ont péri à leur tour. Plus tard leur bateau éventré s’est échoué sur le rivage. Comme une baleine morte. Le plus jeune des hommes avait 28 ans. Personne n’est venu le secourir, lui.
Nouveau jour 12
J’hésite. Chantilly ou pas ? Chocolat ou pas ? Je n’hésite plus. Je me goinfre. Et je me délecte aussi. C’est fou ce que la nourriture, surtout si elle est riche en gras et sucrée nous rassure.
On a retiré leur enfant à des parents soupçonnés de maltraitance. Au bout de plusieurs années les médecins se sont rendu compte qu’une maladie provoquait ces blessures et fractures à répétition. Et pendant tout ce temps l’enfant a été placé en famille d’accueil. Spolié de l’amour de sa famille, de ses parents. Le pire est qu’aujourd’hui encore, alors que l’erreur médicale a été prononcée, c’est devant la justice qu’ils doivent se battre pour récupérer leur fils.
Nouveau jour.
Nouveau ? Pour quelles nouvelles ? Et si au bout du compte tout revenait, toujours pareil. Les bons moments et les sans joies. La beauté du monde ou ses désespoirs. Ses accidents. Ses hontes. Comme une routine, un refrain. Mais tant qu’il y a de nouveaux jours.