Un we à Tulle

Date : 17 février 2019

samedi
Durant toute cette semaine, hormis celles-ceux qui sont entré.e.s un peu de temps, plusieurs personnes sont entrées pour se renseigner sur le lieu ou le voir de plus près après en avoir entendu parler, et me disent qu’elles repasseront, en notant leurs coordonnées sur le cahier dédié.

• Ce matin, Bernadette pousse la porte.
Agent d’entretien à l’hôpital, elle est inquiète pour sa retraite et voudrait un petit boulot rémunéré. Elle a vu aux actualités que ça existait. Changer de métier, être au contact, parler avec les gens, essayer de les aider, s’occuper.
— Psychologiquement c’est important, j’ai envie de voir du monde.
Être bénévole à la Croix Rouge ou aux Restos du cœur ne l’intéresse pas :
— Pas envie de voir des personnes qui viennent se plaindre et demander de l’aide, qu’on retrouve au café ou au kébab. On les voit bien, Tulle c’est petit !
Même si elle convient que c’est important d’avoir une vie sociale, même quand on est pauvre.
Mais elle, quand elle était dans le besoin et qu’elle faisait appel à la Croix Rouge ou aux Restos, elle n’avait pas de quoi aller au café ou payer un kébab à ses enfants. Aux restos, des fois, les légumes qu’on lui donnait étaient abîmés.
Elle garde un très mauvais souvenirs de quand elle était obligée de s’habiller avec des vêtements d’occasion. & puis l’hygiène… Même si elle est d’accord que les vêtements sont lavés. Mais c’était dur.
— Je pouvais pas m’habiller comme ça. Maintenant je peux aller dans les magasins. J’en ai donné à la Croix Rouge, je voulais changer de garde-robe. Attention, j’vais au moins cher.
Elle est rassurée d’avoir un boulot stable. Mais elle s’inquiète :
— Mais plus tard, pour la retraite, tu vas faire quoi, là, pour t’occuper ? C’est pour ça qu’elle veut changer de contrat, tout faire pour changer. Elle se voit mal vivre toute seule sans sortir avec 910 €/mois.
— Faut que le smic augmente, les retraites, baisser la csg, la retraite à 610 € par mois, c’est pas possible, comment on fait pour vivre?
Elle ne manifeste pas, même si elle trouve que les gilets jaunes ont raison. Mais pas la violence, hein, comme on voit à la TV ou dans le journal.
Elle a même écrit dans un cahier de doléances, elle a été voir les gilets jaunes samedi dernier : baisser la csg, augmenter le smic pour tout le monde et les retraités, aider les retraités avec des petites retraites, et les hôpitaux, baisser les loyers et le prix de l’alimentation. (elle fait des gestes, en haut, en bas)
— Y’a Noz quand même. On y trouve de la lessive moins cher. Des lessives de marques.
Elle est à 4 ans 1/2 de la retraite, après 22 ans d’hôpital. Avant, elle travaillait dans une usine de batterie dans le Lot. Après, aide à domicile. & le chômage. Elle a demandé un logement social à Brive, mais on lui a dit qu’elle pouvait attendre 10 ans sans rien avoir. Alors son assistante sociale lui a dit de plutôt aller à Tulle. Ça fait 19 ans qu’elle est à Tulle. Par rapport aux enfants, c’est bien, ils avaient des copains à Tulle. Elle préfère Bordeaux. La mentalité n’est pas la même.
(Gilles aussi a dit ça..!!)

— Les contrats d’avenir, ça sert à rien du tout.
après avoir été stagiaire, CDD, il faut 5 ans de travail à l’hôpital pour avoir un vrai contrat. Pourtant ils manquent de personnels.
Il y a beaucoup de déprime parmi les infirmières et les aide-soignantes, beaucoup pleurent. Elle préfère faire le ménage,
— Pour 50 € de moins, c’est kif kif, et c’est plus facile, y’a moins de pression.
Elle voudrait faire une formation en poterie. Pourquoi la poterie, elle en a déjà fait ? Non, mais ça a l’air bien, elle aime bien l’artisanat, ça l’occuperait et ça lui ferait une aide psychologique. Elle a vu qu’à Tulle, on faisait ça.
A 65 ans, trouver un autre travail, vendeuse ou autre chose.
Elle aime bien changer de vêtements. Pas tous les jours, hein.
— Tu deviens de plus en plus classe ! on lui dit. Avant, tu te permettais pas de t’habiller comme ça ! (des leggings par ex.)
Avant, elle habitait aux HLM Sainte-Claire. Il y avait une mauvaise ambiance, des cas sociaux, des histoires… Maintenant, elle a un T2 avec Corrèze-habitat, c’est une petite résidence, ils ne sont que 9 locataires. Elle se sent mieux.
— Partir de là, j’me suis dit. Avant j’avais pas envie d’être élégante, je sortais pas, j’avais des vêtements trop grands.
J’ai fait une croisière à Naples, en Tunisie, à Marseille. J’ai rencontré des allemands sympas. Il y a beaucoup de dames seules.
& 14h de car pour voir Venise et Florence, en 4 jours, je le referais plus, c’est trop. & La Rochelle – Arcachon – Royan – Soulac/mer. J’y vais seule, pas en groupe. Faut se lever à 6h pour le petit déjeuner, manger de 12h à 12h30, faire des visites jusqu’à 18h…
L’année dernière, j’avais déménagé, fallait rembourser le crédit, je suis pas partie en vacances, j’ai fait un peu les boutiques, j’ai mangé à la cafétéria de Leclerc… J’aime bien être indépendante, pas dépendre des autres. On voit du monde. Même si je déjeune dans un restaurant toute seule, il y a des voisins, on communique.
Il y a beaucoup de personnes seules. Des dames, avec des amies de peur d’être seules. Avant, j’étais très très timide et renfermée. Il y a eu un déclic, j’ai changé de personne. Je me suis fait couper les cheveux; faire des mèches ; aller voir l’esthéticienne pour des gommages de peau. Faut changer !  Ma fille m’a dit : “là, franchement, tu m’impressionnes !”
Je voudrais montrer à d’autres que c’est possible. Tendre le bras : “viens avec moi !”
“J’y arriverais pas” elles me disent mes collègues. Mais s’enfermer dans votre appartement devant la TV, c’est pas bon. Il y en a qui sont aussi avec l’ordinateur, mais c’est pareil. Quand mes enfants sont partis, ma fille m’a dit : “Faut que tu t’occupes, dans quoi? ” Je lui ai répondu : T’inquiètes pas, j’ai des projets dans la tête !
Je voudrais un petit travail, pour dire aux gens qu’on a une seule vie, qu’il faut en profiter, se battre, sortir. Maintenant,je suis plus souriante, je m’avance.
Je vais faire une bonne promenade cet après-midi, j’ai mis une petite robe, manger au snack.
— Vous allez dans les musées quelques fois? Au cinéma ?
— non, je vais pas aux musées, je préfère la mer, rentrer dans les magasins, on voit des choses artisanales, des colliers, d’autres choses, c’est pas mal. Et je vois des films à la télé, quand je veux.
Le soir, c’est la pause, je préfère être tranquille chez moi. Et puis, je commence le travail à 6h. Je ne m’aventure pas seule. Je voudrais pas me faire attaquer.
— Il y a beaucoup d’attaques  nocturnes, à Tulle ?
— Je me sens pas tranquille. 21h le soir quand il fait beau, 21h30 pour les Nuits de nacre… ça ne m’empêche pas de manger un bout de pizza à la cafétéria. Mais j’évite de sortir seule. Y’a rien le soir ici.
Je  fais beaucoup de marche à pied, un petit tour jusqu’à 18h. Je passe par au-dessus (grand geste vers la Corrèze), je redescend vers la gare. Je fais 4-5 km/jour quand je ne travaille pas.

& Bernadette part en goguette, avec ses jambes fines dans des bottes en peau et des collants marrons et une robe courte en laine blanche, un manteau-blouson gris à la capuche enmoumoutée, profiter du grand soleil de la journée…

• Je suis derrière l’ordi à recopier mes notes tant que c’est frais,
IMG_09471

quand Thomas m’envoie un message-photo qui me fait baver d’envie.

Comme je lui réponds avec l’autocollant UTOPISTE DEBOUT,

il me renvoie cette photo :

IMG_09421

• Je finis mon petit travail de tamponnage pour le fléchage des nouveaux locaux de PEC, et me dis que j’irais bien voir ailleurs, parler avec des humains, quand Serge pousse la porte.
Il a rencontré dans la journée un jeune homme sdf avec son chien, qui a passé la nuit dehors (s’il fait beau la journée, ça caille la nuit!) En appelant le 115, aucune place disponible dans le coin…

Il était surpris de se voir dans le journal de PEC (et le blog) ” quand Serge vint…” et a pensé à Sergevingétorix. Je lui dit alors que le blog mange tout, et qu’il y a ce qu’il a écrit au nouvel an, par exemple, et qu’il m’a envoyé…!
Peut-être faudrait-il rajouter qu’il l’a écrit avec 2g dans le sang et qu’il l’a chanté avec une perruque rouge sur la tête..? (je me disais bien que ça devait être déclamé ou chanté!)

Quand je lui parle de Bernadette, il me dit qu’il a pensé qu’il pourrait faire assistant de vie, s’il se retrouvait au chômage. Ça manque d’homme.
La situation de son journal le préoccupe un peu.
DSC02910 Il est devenu journaliste en écrivant des critiques de cinéma, pour son plaisir d’abord, de plus en plus régulières. Les 1ères, il les glissait sous les essuie-glaces ou la porte de son copain, qui bossait à L’Echo à Limoges. Quand il pleuvait, il arrivait qu’elles se diluent…
De fil en aiguille (ou de pellicules en critiques)  il a eu un encart spécial, avec sa photo !
(et une chouette anecdote : un maître nageur abonné à l’Echo entre autre pour ses critiques de cinéma, s’est désabonné quand elles ont disparu !)
(La page culture a disparu…)
En voilà une avec un ton qui fonce dans le lard quand y’a pas d’art :
20190217_171602
(je lui ai demandé de me montrer son cahier d’archives, photographié le dimanche…)20190217_163510
& de critiques en papiers, il a été embauché à L’Echo.
Parcours scolaire chaotique, il a passé le bac avec un ami dans le même cas que lui, en candidats libres. Emprunt pour payer ses études, pion pour vivre. Il a préparé les concours (prof, instit, documentaliste…) plutôt que de faire sa thèse (sur Céline, comme Yves Pagès). & un CAP d’opérateur projectionniste de cinéma, avec un travail l’été dans un cinéma à Pyla/mer.
Il me parle aussi d’une revue Points d’Encrage, format A3, qu’il a faite avec un ami, après la fac de lettres à Limoges. Trimestrielle tout d’abord. Dépot dans les librairies, salons de la revue etc, abonnés. Belle fabrication, petit prix, sans subventions. Il lui en reste dans des cartons qu’il pourra m’apporter (je veux voir!)

En discutant il m’apprend un nouveau mot : la renaturation. De la Corrèze. & à aller voir à l’Auzelou, demain par exemple puisqu’il fait beau.

dimanche
Réveil tard, et trompes de manif en buvant du thé, les gilets jaunes viennent de la gare et passent sous mes fenêtres. Y’a pas foule, l’avenue est vide ce dimanche matin.
DSC02852
DSC02855DSC02863
& comme il fait extra beau, je vais donc au bord de la Corrèze
DSC02868
DSC02907comme je m’emmerde un peu après avoir lézardé (c’est bon ce soleil!) sur un banc (et que ça me donne envie d’être à la mer ou dans un “vrai” endroit plus sauvage), je me dis que ça aurait été mieux avec du fil électrique dans mon sac pour bricoler mes petites affaires!
Du coup, je tente la feuille de carnet…
DSC02873aller mer cleur DSC02872DSC02901 DSC02886

Je trempe la main dans l’eau, pour voir si c’est froid, et ne sens plus mes doigts au bout de 3 secondes !

des jeunes s’installent sur une couverture sur l’herbe terreuse et un chien court après un bâton, des mémés se promènent au bras de leurs enfants et des enfants aux bras de leurs parents, c’est dimanche.

Avant d’aller vers la mer, mon message s’en va vers le centre ville… et moi aussi…
A l’aller comme au retour, 1+ 1 vues remarquées :
DSC0286420190217_151830
20190217_165809

Du coup, ça lui fait une petite récré alors qu’il bosse (10 jours de boulot, suivis de 4 jours de repos, etc.), Serge passe m’apporter ce dont il m’a causé hier :
ses critiques de films et des numéros de la revue Point d’Encrage.
Chaque numéro est thématique.

Sur celui-ci, il dit que rien n’a changé, il aurait pu être écrit hier (en changeant quelques noms), sauf la date..
20190217_17322420190217_17340120190217_173409 20190217_17325820190217_17345120190217_17353620190217_173431  20190217_173703
De la revue au journal… 10 ans après…

En relisant un peu ce qu’il m’a amené, il se dit que ses critiques de cinéma étaient écrites “avec le corps”. Je dois les lire un peu pour comprendre, compilées dans un cahier. Alors on évoque Serge Daney. & son compte twitter @sergedamned est un hommage à Daney qu’il admire..!
Fin de la récré.

• Tant que j’y suis à prendre des photos de doc, je prends celle-ci…
Faut trouver un titre pour notre session printemps des poètes. Pourquoi pas celui-là?
DSC02909
Manée m’avait parlé de La Fraternelle, je ne sais plus pour quoi. En allant voir ce qu’ils font, sur leur site je trouve ça, justement pour le printemps des poètes ; c’est du titre!!! :
“à 18h Carte blanche à Fabienne Swiatly auteure en résidence 2019 à la Maison de la poésie transjurassienne : Mon bordel ne dure que 40 mn”

On termine là avec une histoire que Serge m’a raconté hier : enfant il a voulu marcher sur les fils à linge de l’étendoir au 1er étage…

• & puis du courrier avant la semaine prochaine :

Capture d’écran 2019-02-18 à 00.01.30
& un message de Christine Thepenier, (j’y ai pensé en me demandant si c’était de l’osier que je voyais au bord de la Corrèze..) qui est pour vous l’occasion d’aller voir ce que c’est la vannerie sauvage

 

 

@